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L’industrie de la mode africaine d’aujourd’hui

30 septembre 2020
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Au cours du deuxième jour de la Conférence de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) sur le marché mondial des contenus numériques qui s’est déroulée du 16 au 18 septembre 2020, un interlude en design créatif nous a permis d’en découvrir plus sur une facette de la mode africaine. Elle qui joue un rôle critique économiquement parlant dans le marché industriel africain.

Un survol

Bien que dévastatrice, la pandémie actuelle a engendré des opportunités pour bien des designers africains. En effet, un changement de cap s’est effectué dans ce domaine, et ce, notamment grâce à la technologie et aux plateformes de commerce électronique qui ont pris de l’importance à travers le monde.

Dans ce sens, Dr. Precious Moloi-Motsepe, fondatrice de African Fashion International, explique que, dans son cas, ils ont non seulement déplacé tous leurs actifs physiques comme leurs « pop-up stores » sur des plateformes numériques, mais qu’ils diffusent dorénavant en direct tout ce qui se rapporte à la mode telle que leurs « fashion week » ou « masterclasses ». De plus, avec leur plateforme de commerce électronique récemment créée, leurs designers peuvent atteindre un marché qui ne leur était pas nécessairement accessible avant, et ce, tout en mettant à la disposition des consommateurs un endroit où ils peuvent trouver une variété de vêtements, bijoux, et même de pièces d’art africains.

Il est donc question ici de la technologie ayant réimaginé la mode africaine ainsi que la compétition partout sur le globe.

Un manque de propriété intellectuelle

Durant la vidéo qu’était l’interlude, les intervenantes ont relevé le fait qu’en Afrique le commerce électronique et la numérisation représentent un défi, et ce, entre autres à cause de l’infrastructure juridique, mais aussi par la présence de problèmes quant à la disponibilité de l’électricité ou le coût des données. 

Cependant, c’est une problématique quant à la propriété intellectuelle qui a été davantage accentuée. Effectivement, depuis le grand succès de films comme Black Panther par exemple, il semblerait que de plus en plus de personnes à travers le monde aient développé un désir de se procurer des morceaux issus de la mode et des designers africains. Avec cette demande grandissante, il en revient alors à ces designers de s’assurer de protéger leur propriété intellectuelle. C’est là que le problème prend racine. Selon Doreen Mashika, beaucoup de designers africains possèderaient peu de connaissances en ce qui a trait à la propriété intellectuelle. Ce qui implique notamment pour plusieurs que leurs designs se font voler sans même qu’ils ne s’en rendent compte, et ce, encore plus facilement grâce aux nouvelles plateformes numériques et de commerce électronique. Elle évoque également un manque d’outils permettant à ces créateurs d’en apprendre plus sur le sujet, ainsi qu’un besoin d’aide provenant de la communauté internationale.

Conférence ministérielle africaine de 2015 et ses retombées

Ce point de vue récent fait écho à ce qui avait été évoqué lors de la Conférence ministérielle africaine 2015 sur la propriété intellectuelle pour une Afrique émergente. En effet, dans le Rapport sur le Segment I : Science, technologie et innovation au service de la transformation des économies africaines, de nombreuses problématiques ont été soulevées. Mentionnons quelques exemples :

« Les politiques, les lois et les institutions qui existent actuellement dans le domaine de la propriété intellectuelle ne sont pas représentatives de la situation et des besoins particuliers en Afrique et ne sont pas à même de répondre aux défis de la mondialisation et à l’évolution rapide des technologies (p.1). »

« Méconnaissance et mauvaise utilisation des services proposés par l’OMPI […] (p.3) »

« Aide inadaptée du gouvernement en ce qui concerne la promotion et le renforcement de l’utilisation des instruments de gestion de la propriété intellectuelle et des marques au service de la compétitivité (p.6). »

De plus, reconnaissant l’importance du secteur de la mode pour l’Afrique, un rapport intitulé « L’industrie de la mode et du design en Afrique et sa valorisation par la propriété intellectuelle » a été établi dans le cadre de cette même conférence (ici le résumé). Il en ressort encore une fois des points semblables à ceux évoqués par nos intervenantes dans la vidéo.

« Le rapport a [par ailleurs] dénoté un faible recours et une sensibilisation réduite à la propriété intellectuelle au sein du secteur de la mode en Afrique dans tous les pays visités, l’Afrique du Sud et le Nigéria sortant du lot (p.8). »

Alors qu’il s’agit d’un élément central afin de valoriser et de protéger cette industrie.

Aussi, avec l’évolution des technologies et d’Internet, les participants de la conférence ont reconnu l’importance de traités internationaux tels que les « Traités Internet, WCT et WPPT de 1996, le Traité de Beijing de 2012 et le Traité de Marrakech de 2013 ».

Ainsi, pour donner suite aux rapports présentés lors de cette conférence, plusieurs engagements furent pris par les États africains participants afin de rectifier les problématiques mentionnées. Ceux-ci se retrouvent dans la Déclaration de Dakar sur la propriété intellectuelle pour l’Afrique adoptée le 5 novembre 2015.

Pourquoi devoir changer les choses?

Il est d’avis que la mode serait un lieu de naissance de la créativité et de l’innovation. Cela serait une manière pour les designers africains d’exposer leurs héritages, cultures et traditions, soit leurs identités. Le continent africain étant composé de 54 pays avec des cultures propres, il faut protéger les savoirs traditionnels. C’est donc à ce moment que la propriété intellectuelle entre en jeu. Plus précisément, lorsqu’on parle d’innovations basées sur des savoirs traditionnels, celles-ci peuvent généralement se voir protégées « au titre d’un brevet, d’une marque ou d’une indication géographique, ou en tant que secrets d’affaires ou renseignements confidentiels ». De plus, au sens large, ces savoirs englobent les expressions culturelles traditionnelles qui doivent également être protégées ici par des outils de propriété intellectuelle tels que « le droit d’auteur et les droits connexes, les indications géographiques, les appellations d’origine et les marques », car elles incluent les dessins de mode et les modèles traditionnels. D’ailleurs, le Ghana prévoit « des dispositions pour la protection du kente en tant qu’expression culturelle traditionnelle selon le droit d’auteur conventionnel (p.9). » Or, le problème demeure. Il semble difficile et non pas naturel pour de nombreux designers de profiter de ces droits de protection, et ce, même si leur État a depuis bon nombre d’années ratifié conventions et/ou traités.

Prenons comme exemple la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques adoptée en 1886 (qui en date du 2 juin 2020 comptait 179 États membres). Bien qu’elle ne soit pas récente, les designers africains devraient la connaître et la mettre de l’avant pour protéger leurs savoirs et leur créativité. Puisque selon l’Article 2, la protection des œuvres et des droits des auteurs sur leurs œuvres devrait s’étendre sur « toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression ».

Autre exemple plus régional, l’Afrique abrite l’Organisation Africaine de la Propriété intellectuelle. Malgré le fait que seuls 17 États sont membres de l’OAPI, il existe un accord régissant la propriété intellectuelle en leur sein, soit l’Accord de Bangui, adopté en 1977. Ce traité ayant une valeur supranationale, ses dispositions font office de lois nationales pour les États membres. Par ailleurs, dans notre cas, l’Annexe VII régissant la Propriété littéraire et artistique est particulièrement intéressante. Notamment l’Article 4.1) indiquant que « l’auteur de toute œuvre originale de l’esprit, littéraire et artistique jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création d’un droit de propriété incorporelle, exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial qui sont déterminés par la présente Annexe. » Encore une fois, il est dommage que les designers africains n’exploitent pas son potentiel de protection.

À la lumière de ces éléments, voici ce que j’en retire. L’Afrique compte de nombreux designers talentueux qui font fleurir l’industrie de la mode sur leur continent, mais également à travers le monde grâce aux nouvelles technologies et aux plateformes de commerce électronique. Représentants d’une multitude de cultures, d’identités, plusieurs d’entre eux sont malheureusement des victimes. Victimes par un manque de connaissances vis-à-vis l’existence, l’utilisation et les possibilités offertes par le concept de propriété intellectuelle. En ne connaissant pas et en n’utilisant pas les outils qui ont pour objet la protection des savoirs et expressions culturelles traditionnels, comment ces derniers peuvent-ils mener à bien leur rôle. Entre la Conférence ministérielle africaine 2015 et la Conférence de l’OMPI, cinq ans plus tard, les mêmes manquements refont surface. Peut-être est-ce à cause du peu de temps qui s’est écoulé depuis, mais il ne semble pas y avoir eu tant de changements. Alors qu’avec l’évolution rapide des technologies, d’autant plus en temps de pandémie, ces changements sont primordiaux pour la protection des savoirs et la valorisation de cette industrie qui ne fait que s’accroître.

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