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Les fournisseurs de service internet doivent être compensés financièrement pour l’identification des pirates de films

29 octobre 2018
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Le 14 septembre dernier, la Cour suprême du Canada a rendu un jugement (Rogers Communications Inc. C. Voltage Pictures, LLC)  en faveur des fournisseurs de service internet (FSI). Ceux-ci peuvent désormais réclamer une compensation financière aux titulaires de droits d’auteur pour les démarches entreprises afin d’identifier les clients dont l’adresse IP est associée à une violation d’un droit d’auteur.

 

Le Canada s’est doté en 2015, grâce à la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, d’un système de notification de violation du droit d’auteur. Ce système porte le nom de régime d’avis et avis. Les détenteurs de droits d’auteur émettent des avis aux FSI pour les prévenir qu’ils ont des suspicions de violation par un de leurs clients (article 41.25 de la Loi sur le droit d’auteur).La loi émet des exigences sur le fond et la forme de cet avis qui doit contenir l’adresse IP à la source de la violation. Le fournisseur d’accès à internet uniquement est capable de relier cette adresse à l’identité d’un abonné. Une fois que le FSI détermine qui est l’utilisateur de l’adresse IP, il lui envoie un avis pour l’informer de l’utilisation de son adresse pour commettre une violation au droit d’auteur (article 41.26 (1) a)).La FSI confirme ensuite au titulaire que la procédure a bien été effectuée. Le détenteur de droits d’auteur qui souhaite intenter une action pour obtenir des dommages et intérêts doit obtenir une ordonnance des tribunaux pour être autorisé à se faire révéler l’identité des clients contrefacteurs. Pour permettre cela, il est prévu que le fournisseur d’accès à internet conservera pendant minimum 6 mois un registre des violations permettant l’identification des abonnés associés aux adresses IP (article 41.26 (1) b)). Dans la loi, il est inscrit que sans règlement fixant un montant maximum pour une indemnité exigée, il ne peut en être exigée aucune (article 41.26 (2)).

 

Les faits à la base du jugement de la Cour suprême sont les suivants. Des sociétés de production cinématographiques se sont mises en ensemble pour combattre le piratage de leurs films. Après obtention d’une ordonnance par un tribunal, elles ont demandé à Rogers de leur communiquer l’identité d’un abonné qui avait partagé illégalement leurs films. Elles avaient dans l’optique de le poursuivre en justice ainsi que 55 000 autres clients. Rogers a exigé d’être payé 100$ par heure passée pour rassembler les renseignements sur cette personne et compenser de la sorte des coûts administratifs importants. Sa thèse était que dans le régime d’avis et avis, rien ne prévoyait une communication de l’identité réelle du client aux détenteurs de droit et que dès lors, il fallait continuer d’appliquer les règles de Common Law en la matière. Ces dernières prévoient que les FSI peuvent réclamer un dédommagement raisonnable pour le service rendu. Les producteurs, eux, soutenaient que le service faisant partie du régime d’avis et avis : aucune contrepartie ne pouvait être exigée.

 

En appel, il a été tranché en défaveur de Rogers. Les juges d’appel ont considéré que les mesures prises équivalaient à des obligations légales qui n’étaient pas susceptibles d’indemnisation.

 

« [69]  Le raisonnement de la Cour fédérale semble avoir été que le régime légal ne prévoit pas la divulgation des renseignements et n’interdit pas des droits pour « l’exécution d’une ordonnance de divulgation rendue à l’égard de ces renseignements » (au par. 8). Par conséquent, à son avis, l’exigence habituelle d’une ordonnance de type Norwich, à savoir que le titulaire du droit d’auteur rembourse le fournisseur d’accès Internet pour ses coûts raisonnables, n’est pas modifiée par le texte légal. En conséquence, la Cour fédérale a conclu qu’elle pouvait permettre que des droits soient payés à Rogers pour couvrir ses frais liés à l’exécution des obligations prévues au paragraphe 41.26(1). »

 

« [70]  À mon avis, cette décision était entachée d’une erreur de droit. En vertu du régime légal décrit et analysé plus haut, un fournisseur d’accès Internet ne peut pas exiger de droits pour les tâches prévues au paragraphe 41.26(1) et décrites au paragraphe 40 des présents motifs. Permettre à un fournisseur d’accès Internet, au moment de la divulgation, d’exiger des droits pour ces coûts équivaudrait à contourner la décision législative selon laquelle ces activités ne devraient pas être rémunérées à ce moment‑ci. »

 

Ce raisonnement n’a pas été suivi par la Cour suprême. La question centrale de l’arrêt était de déterminer ce qui faisait partie ou non du régime d’avis et avis. Le juge Brown ainsi que sept autres juges ont raisonné comme suit :

« Toutefois, il existe une distinction entre l’obligation du FSI dans le cadre du régime d’avis et avis d’assurer l’exactitude de son registre permettant d’identifier le propriétaire d’une adresse IP, et son obligation, aux termes d’une ordonnance de type Norwich, d’identifier effectivement une personne à partir de son registre. Bien que le registre que le FSI doit conserver aux termes de l’al. 41.26(1) b) doive l’être sous une forme et d’une manière permettant à un FSI d’établir le nom et l’adresse de la personne à qui l’avis est transmis aux termes de l’al. 41.26(1) a), l’al. 41.26(1) b) n’exige pas qu’il soit conservé sous une forme et d’une manière qui permettrait à un titulaire de droit d’auteur ou à un tribunal de le faire. Le titulaire du droit d’auteur serait toutefois autorisé à recevoir ces renseignements du FSI aux termes d’une ordonnance de type Norwich, dont le processus ne relève pas des obligations du FSI dans le cadre du régime d’avis et avis. Un FSI a donc droit aux coûts raisonnables des mesures nécessaires pour discerner l’identité d’une personne à partir du registre exact conservé au titre de l’al. 41.26(1) b) . »

Seule la juge Côté était en désaccord. Selon elle, sur les huit étapes suivies par Rogers suite à la réception de l’ordonnance, aucune ne fait partie du régime d’avis et avis.

   « Aucune des huit étapes que suit Rogers en réponse à une ordonnance de type Norwich n’est supplantée par le régime d’avis et avis, puisqu’elles ne comportent pas la vérification de l’exactitude du registre que Rogers est tenue de conserver aux termes du par. 41.26(1) . Rogers suit plutôt ce processus afin d’établir et de vérifier l’identité de la personne qui aurait violé le droit d’auteur (qu’elle ne connaît pas déjà) en fonction de ce registre. Si l’on suppose que ce processus en huit étapes est par ailleurs raisonnable, Rogers a droit à la pleine indemnisation pour les étapes qu’elle suit afin d’identifier un titulaire de compte et de communiquer son identité au titulaire du droit d’auteur ».

La cause doit être renvoyée devant le juge des requêtes pour qu’il détermine le caractère raisonnable du processus en huit étapes. Le montant des compensations exigées sera aussi soumis à un contrôle par le juge.

Ce jugement aura certainement de conséquences dans la lutte contre les violations du droit d’auteur en ligne. L’impact financier risque d’être important pour les producteurs de films. Selon le vice-président de Rogers, c’est une victoire pour les abonnés dont les données personnelles faisaient sans arrêt l’objet de requêtes.

 

 

 

 

 

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