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L’arrêt Voltage Pictures : L’avis de la Cour suprême sur les frais à payer dans le régime législatif d’avis et avis

17 octobre 2018
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Le 14 septembre 2018, la Cour Suprême du Canada (ci-après la «Cour») a rendu l’arrêt Rogers Communications Inc. c. Voltage Pictures, LLC, 2018 CSC 38 (ci-après «l’Arrêt») dans lequel elle répond à la question à savoir qui doit supporter « les « coûts raisonnables occasionnés en vue de la conformité » du fournisseur de services Internet (ci-après «FSI») à une telle ordonnance de type Norwich». Dans son analyse, la Cour tient compte du contexte législatif, et plus précisément, des dispositions du régime d’avis et avis (ci-après le «Régime») contenues à la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (ci-après la «LDA»). Nous proposons ici de survoler les points saillants de cette décision afin d’en peindre un portrait concis et intelligible pour le lecteur.

Le régime d’avis et avis

En 2012, le gouvernement de Stephen Harper a adopté la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, LC 2012, c 20. Ce changement législatif visait à moderniser la LDA pour accroître la protection des titulaires de droits d’auteur à l’époque du partage de fichiers sur Internet. Cette loi a mis sur pied le Régime, contenu aux articles 41.24 à 41.27 LDA. Dans un premier temps, l’article 41.25 LDA permet au titulaire de droits d’auteur d’envoyer un avis de prétendue violation de ce droit à un FSI. Dans un deuxième temps, l’article 41.26(1)a) LDA impose au FSI qui reçoit un avis tel que prévu à 41.25 LDA de «transmettre dès que possible par voie électronique une copie de l’avis à la personne à qui appartient l’emplacement électronique identifié par les données de localisation qui sont précisées dans l’avis». Dans un troisième temps, l’article 41.26(1)b) LDA prévoit que le FSI doit conserver un registre permettant d’identifier la personne à qui appartient l’emplacement électronique. Bref, le Régime se limite à informer les utilisateurs de services Internet qu’une violation présumée du droit d’auteur a lieu à leur adresse. Si un titulaire de droit d’auteur souhaite plutôt obtenir les coordonnées personnelles d’un utilisateur de service Internet, il doit procéder par une injonction de type Norwich.

Contrairement à l’injonction de type Norwich, qui est d’origine prétorienne, le Régime contient des articles prévoyant expressément qu’un FSI peut exiger le paiement de droits représentant les coûts raisonnables liés à ses obligations créées par le Régime.

L’article 41.26(2) LDA prévoit que le montant maximal des droits pouvant être exigés par un FSI doit être fixé par règlement, à défaut de quoi le montant de ces droits est nul. Le gouvernement fédéral, au terme d’une consultation de 6 mois avec les acteurs de l’industrie, a choisi de ne pas adopter de règlement, la conséquence étant que les FSI ne peuvent réclamer de droits pour les actes nécessaires au respect de leurs obligations.

La question en litige

Pour mettre un terme au litige, la Cour devait déterminer si les obligations de l’appelante en vertu de l’article 41.26(1) LDA chevauchaient entièrement ou en partie les mesures que l’appelante pourrait être tenue de prendre au terme de l’injonction de type Norwich. La Cour explique que cette détermination quant au chevauchement des obligations est à la base du droit de l’appelante de réclamer ou non des droits pour les coûts raisonnables occasionnés afin de se conformer à l’injonction de type Norwich.

L’historique judiciaire

Les intimées étaient un regroupement de sociétés de production cinématographique qui prétendaient que leurs droits d’auteur faisaient l’objet de violations par des abonnés à Internet qu’elles n’arrivaient pas à identifier. Par conséquent, en première instance, les intimées sollicitaient de la Cour Fédérale une ordonnance de type Norwich demandant à l’appelante, une FSI, de leur communiquer les coordonnées des personnes qui s’adonnaient aux prétendues violations des droits d’auteur. Les intimées demandaient aussi que l’ordonnance de communication soit rendue sans aucun droit à payer à l’appelante. L’intention des intimées était d’ensuite intenter une procédure à l’endroit des 55 000 personnes qui avaient prétendument violé leurs droits.

Le juge de première instance a fait droit à la demande des intimées et a ordonné la communication des noms et adresses des utilisateurs qui violaient prétendument leurs droits d’auteur. Il a aussi fait droit à la demande de l’appelante qui demandait de recouvrer les coûts occasionnés pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich. Le juge de première instance distingue les dispositions du Régime de l’injonction de type Norwich (para. 14 de la décision). Cette dernière visait à obtenir la communication de l’identité des utilisateurs du service Internet et n’était donc pas assujettie aux articles 41.24 à 41.27 LDA. Par conséquent, la Cour fédérale ordonna le paiement d’un tarif horaire de 100 $, plus TVH, pour le temps passé par l’appelante à assembler et à transmettre les renseignements sur l’abonné aux demanderesses.

En appel, la Cour d’appel fédérale a déterminé que le FSI a l’obligation en vertu de l’article 41.26(1)b) LDA de « conserver […] un registre permettant d’identifier la personne à qui appartient l’emplacement électronique». Cette même cour détermine aussi que : «Les renseignements doivent être conservés de façon à pouvoir être divulgués rapidement» (para. 39 de la décision). Cette direction a certainement été prise suite à la plaidoirie des Intimées. Ces dernières arguaient que les obligations légales du FSI, imposées par le Régime, chevauchaient les mesures devant être prises au terme de l’ordonnance de type Norwich. Le corolaire est, selon la Cour d’appel fédérale, que bien qu’un FSI se fasse ordonner de divulguer des renseignements par une injonction de type Norwich, le travail nécessaire pour compiler les informations devant être transmises incombe déjà au FSI en vertu du Régime. Il s’ensuit donc que le FSI ne peut réclamer de droits pour le temps consacré à des obligations contenues à l’article 41.26(1)b) LDA, même si ces droits sont réclamés dans le cadre d’une demande en injonction de type Norwich. La Cour d’appel fédérale accorde donc des droits pour le seul travail que l’appelante consacre à la divulgation des informations sur les utilisateurs du service Internet devant être communiqué aux intimées.

La décision de la Cour

La Cour conclut que les obligations du FSI en vertu du régime, dont les obligations implicites, sont antérieures aux mesures pour se conformer à l’ordonnance de type Norwich. Le droit de demander des montants pour les couts raisonnables liés à l’injonction cède donc le pas à l’interdiction prévue dans le Régime, quand les obligations se chevauchent. La Cour enchaine cependant en décidant que les gestes posés dans le cadre de l’injonction, mais qui ne sont pas requis par le Régime, peuvent donner droit au paiement de coûts raisonnables. On pense ici, par exemple, au moment où le FSI établit le nom et l’adresse physique de la personne à qui il a fait parvenir un avis. Nous nous permettons un commentaire, à l’instar de la Cour d’appel fédérale, que ces droits risquent d’être minimes sinon dérisoires.

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