On le sait bien : les réseaux sociaux mettent à la disposition du public une quantité considérable d’information sur les individus. La plupart du temps, cette information y est rendue publique par l’individu concerné lui-même, à des fins de divertissement. Or, qui dit information dit potentiel moyen de preuve, et les réseaux sociaux n’y font pas exception. En effet, surtout dans le domaine des relations de travail, les parties n’hésitent plus, maintenant, à recourir aux informations personnelles recueillies sur Facebook, d’autant plus que les tribunaux judiciaires et administratifs ont adopté une attitude très libérale à cet égard (voir notamment les décisionsRenaud et Ali Excavation inc., Garderie Les « Chat » ouilleux inc. et Marchese et Brisindi et S.T.M. (Réseau des autobus) de la CLP – remerciements au professeur Vincent Gautrais pour ces références).
Dans une décision récente (datée du 28 novembre 2012), la Commission des lésions professionnelles a toutefois posé une limite à l’utilisation des informations recueillies sur Facebook. Dans l’affaire Campeau et Services alimentaires Delta Dailyfood Canada inc., la CLP a en effet exclu de telles informations obtenues par l’entremise d’un faux profil mis en place par l’employeur, jugeant un tel moyen illicite et susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
Au cours de l’audience, la représentante de l’employeur tente de mettre en preuve le contenu du profil Facebook de la travailleuse afin de contredire son témoignage. La CLP décrit ainsi le procédé utilisé par la représentante de l’employeur :
« [17] Le tribunal exige que la représentante témoigne sur la façon dont elle a obtenu cette preuve. Elle explique qu’elle a créé un compte fictif au nom de Veronica Miles. Elle a pris soin de créer un profil qui allait attirer l’attention de la travailleuse. Ainsi, son profil indique qu’elle travaille au Cirque du Soleil, qu’elle étudie à l’Université McGill (comme la travailleuse) ainsi que ses préférences musicales, de lecture, de cinéma, etc. [18] La travailleuse l’accepte comme amie, ce qui donne à la représentante de l’employeur l’accès à l’ensemble du dossier Facebook de la travailleuse. Elle en tire toutes les conversations et interventions que la travailleuse a eues durant les 12 derniers mois. À l’audience, la travailleuse mentionnera qu’elle a été attirée par le fait que le pseudonyme de la représentante étudie à la même université qu’elle et qu’elle semblait être dans une position pour l’aider. [19] La travailleuse affirme qu’elle a pris soin d’activer la protection privée sur son profil ce qui est d’ailleurs confirmé par le témoignage de la représentante de l’employeur qui affirme avoir dû demander à la travailleuse, via son pseudonyme, la permission pour devenir son ami »
Fait à noter, suite à des discussions entre les procureurs de l’employeur et de la travailleuse, ce dernier renonce à s’opposer à l’admissibilité en preuve du profil Facebook. Le juge administratif rappelle toutefois son devoir de soulever d’office les questions relatives à la preuve obtenue en violation des droits fondamentaux (article 2858 al. 1 C.c.Q.) et procède donc à un examen de sa recevabilité. Il rappelle en premier lieu le principe général d’admissibilité découlant du caractère public des informations diffusées sur Facebook :
« [36] Le caractère public de l’information contenue sur Facebook semble faire l’unanimité tant dans la jurisprudence que dans la doctrine. À la Commission des lésions professionnelles, plusieurs décisions font état de la production de preuves tirées de Facebook sans que leur recevabilité soit contestée. [37] Ainsi, cette preuve, si elle a été obtenue légalement, ne constitue pas une atteinte à la vie privée puisque Facebook fait partie de la vie publique et ceci même si la personne a mis des paramètres privés pour la protéger. L’effet viral de Facebook fait qu’à mesure que le nombre d’amis augmente l’expectative que l’information demeure privée baisse. »
Suivant ce principe général, Facebook est en effet un espace public et la preuve est en principe admissible. Le tribunal rappelle toutefois qu’un individu peut avoir droit à une certaine protection de sa vie privée, même lorsqu’il se trouve (physiquement ou virtuellement) dans l’espace public. À égard, le tribunal rappelle les critères de justification d’une filature ou d’un enregistrement vidéo énoncés par la Cour d’appel dans l’arrêt Bridgestone (fondé sur des considérations rationnelles, atteinte minimale et proportionnalité entre les effets préjudiciables et bénéfiques) et commente ainsi le procédé utilisé par l’employeur :
« [50] En l’espèce, la preuve démontre que l’employeur a usé de subterfuge et de moyens détournés afin de devenir « l’ami » de la travailleuse sur le réseau social. En conséquence, la preuve Facebook présentée par l’employeur a été obtenue grâce à des moyens frauduleux. Ce constat est d’autant plus vrai que l’employeur a utilisé des informations personnelles et confidentielles de la travailleuse dans le seul but de créer un profil qui correspond parfaitement aux attentes de cette dernière. [51] Selon le tribunal, les moyens utilisés par l’employeur afin d’obtenir la preuve Facebook ne sont pas de nature à porter atteinte « le moins possible » aux droits et libertés individuelles de la travailleuse. En effet, l’usage de subterfuges et de mensonges afin de devenir « l’ami » de la travailleuse dans le seul but d’accéder aux informations nécessaires à sa preuve ne constitue pas une atteinte minime. Ces moyens constituent en effet une atteinte grossière aux libertés garanties par la Charte québécoise. Ils produisent aussi des effets disproportionnés par rapport à l’objectif visé. [52] Même si la travailleuse a consenti à l’accès, c’est par des moyens dolosifs que l’employeur y est arrivé. En d’autres termes, l’employeur n’a pas accédé à des informations publiques, mais bien à des informations privées qui se trouvaient dans un lieu public, mais non accessible à l’employeur. Pour le tribunal, il s’agit d’une incursion dans la vie privée de la travailleuse. Cependant, cette seule conclusion ne suffit pas pour la déclarer irrecevable. »
En effet, pour décréter l’exclusion de la preuve obtenue en violation des droits fondamentaux, le tribunal doit en arriver à la conclusion que son admission serait « susceptible de déconsidérer l’administration de la justice » (art. 2858 al. 1 C.c.Q.). En l’espèce, c’est la conclusion à laquelle le tribunal arrive, justifiée entre autres par le fait que l’employeur n’avait aucune raison de croire à des agissements de mauvaise foi de la part de la travailleuse et qu’il s’agissait, tout compte fait, davantage d’une « expédition de pêche » que d’une enquête sérieuse.
Quelles leçons tirer de cette décision ? Premièrement, le tribunal réitère le principe général à l’effet que les informations diffusées sur Facebook sont à priori publiques et qu’il appartient au titulaire d’un profil d’en déterminer adéquatement les paramètres de sécurité et de confidentialité. Par ailleurs, il décide également que, même dans ce contexte d’espace public, l’employeur ne peut utiliser de moyens frauduleux pour obtenir de l’information. On comprend facilement que les tribunaux ne souhaitent pas encourager les parties à utiliser de tels subterfuges pour constituer leur preuve.
Doit-on toutefois en conclure que l’information diffusée sur Facebook est en sécurité dès lors que les paramètres de confidentialité adéquats sont activés ? Il est permis d’en douter. En effet, surtout avec un grand nombre « d’amis », on ne sait jamais quand l’un d’eux pourrait se trouver dans l’intérêt de transmettre à l’employeur ou à autrui les informations que l’on diffuse. Par conséquent, mieux vaut toujours partir du principe qu’on ne diffuse rien sur Facebook qu’on ne pourrait pas déclamer sur la place publique…
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