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La surveillance numérique des élèves : une nécessité ?

17 décembre 2020
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La fin de session approche. Les étudiant-e-s emploient leurs efforts afin de réussir, leurs rêves, ambitions étant attachées à cette période. Les examens sont depuis longtemps un point de stress pour les étudiant-e-s. Néanmoins, cette année le stress prend une nouvelle forme : outre le fait que tout le monde est obligé de travailler, étudier, et effectuer ses différentes activités à distance, on peut s’interroger sur les modalités en lien avec la surveillance des examens en ligne. En effet, les droits fondamentaux des élèves sont, selon certains, menacés – intentionnellement ou non-intentionnellement – par la surveillance électronique.

En fait, je ne suis pas la seule personne dans ma famille qui accompli sa session en ligne. Hier, j’ai remarqué qu’une intense conversation se déroulait durant le cours que  mon frère suit entre les élèves et leur professeur. En parlant avec lui, il me raconta qu’il avait un examen en ligne pour lequel un logiciel de surveillance à distance était imposé par l’administration de sa faculté. Le logiciel peut avoir accès a l’ordinateur des étudiants afin d’ouvrir leur caméra et leur microphone. De plus il enregistre l’image et le son de l’étudiant, suit et enregistre le mouvement des yeux et restreint l’accès de l’étudiant à son ordinateur. Les universités emploient ce logiciel afin de prévenir les tricheries.

J’étais un peu surpris du degré d’atteinte à la vie privée causé par un tel contrôle. Pour cela, j’ai décidé d’approfondir davantage, de chercher, et lire les différents opinions juridiques et  académiques pour que je puisse prendre une position claire. Ainsi, j’ai pu constater que plusieurs universités (USEK, AUB) au Liban et partout dans le monde (Genève, Etats-Unis) ont choisi cette solution. La question qui se pose est celle de la balance entre, d’une part, garantir l’intégrité des examens et des solutions et, d’autre part, les droits fondamentaux des élèves et le respect de leur vie privée.

UNIGE is watching you

En premier lieu, le 9 Décembre 2020, Chams LAZ a publié dans Le Temps, un article intitulé « A Genève, les étudiants contestent les méthodes de surveillance des examens ». L’auteur a décrit la situation des élèves à l’Université de Genève qui ont refusé d’être soumis à la surveillance lors des examens. La Conférence Universitaire des Associations d’étudiant-e-s (CUAE) a annoncé une série d’actions contre cette surveillance. Ce projet de la CUAE est intitulé « Unige is watching you ». Dans la page d’accueil, la Conférence Universitaire a écrit une déclaration ferme et sans équivoque. Les élèves dénoncent :

« Une telle mesure est révoltante. »

« La surveillance numérique est une atteinte claire au droit au respect à la vie privée, garanti à l’article 13 de la Constitution fédérale et à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme »

L’article 13 de la Constitution fédérale Suisse stipule :

« 1 Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile, de sa correspondance et des relations qu’elle établit par la poste et les télécommunications.

 2 Toute personne a le droit d’être protégée contre l’emploi abusif des données qui la concernent »

De plus, l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme stipule que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Ces deux textes indiquent explicitement la question de la protection de la santé ou de la morale et contre l’emploi abusif des données. Les élèves dans leur déclaration ont posé la problématique suivante :

« En effet, des comportements quotidiens et justifiés impliquent une absence du champ de la caméra et pourront donc être confondus avec une tentative de fraude. Aller aux toilettes en cas de règles, se pencher pour ramasser un stylo, s’étirer, ouvrir la fenêtre, détourner le regard, avoir une interaction imprévue… Qui sera chargé.e.s de faire la différence? Qui sanctionnera? »

Ainsi, est-ce que la sanction sera rendue par les algorithmes qui identifieraient un mouvement non habituel ? Les algorithmes avertissent le professeur de tout mouvement ou comportement suspect. Les élèves seront toutes et tous considérés comme des fraudeurs potentiels.

L’université de Genève a réagi sur les craintes d’élèves. Ainsi, le directeur de la communication de l’UNIGE indique que :

« L’identité de l’étudiant ou étudiante a toujours été vérifiée, qu’il s’agisse d’un examen en présentiel ou à distance, répond Marco Cattaneo, directeur de la communication de l’Unige. Ce contrôle est indispensable pour garantir la qualité et la crédibilité de nos diplômes. »

Donc, le dilemme demeure toujours non résolu, quel principe vaut mieux ? En fait,

« L’Université de Genève respecte la volonté des étudiants qui ne souhaitent pas passer d’examen à distance. Son directeur de la communication détaille: «Cette minorité sera accueillie en présentiel dans nos locaux et passera l’examen sur la plateforme TestWe, sans activation de la caméra et selon les règles de surveillance habituelles.»

Cependant, cette solution nous parait irréelle surtout dans le cas de l’instabilité de la crise sanitaire qui peut à tout moment contribuer à ce que de nouvelles restrictions limitent les déplacements et où la fermeture des établissements scolaires peut être imposée.

Au Liban, surveillance sans aucune garantie

Au Liban, l’USEK a publié un document qui répond aux différentes questions soulevées  par les élèves concernant la confidentialité et leur vie privée. Ainsi, le document affirme que :

“Only the instructors and authorized university personnel (no external entities) will have access to the videos of your exams along with identifying information such as your name. Respondus, the company that makes and sells the software does NOT have access to identifying information. Respondus may use de-identified recordings for the purposes of quality control and research for improvement of the product. After each test or examination, videos will be reviewed by the instructor when needed, to ensure academic integrity.”

Le page relative à la confidentialité de cette plateforme nous montre que la société donne une importance à cette question. La plateforme ne collecte que les données personnelles nécessaires à améliorer l’expérience des utilisateurs.

Les étudiants ont cependant exprimé leurs craintes à cette autorisation donnée à l’instructeur qui peut parfois mener à des utilisations illicites et déloyales. Surtout qu’au Liban les sources du stress ne cessent de s’amplifier suite à toutes les crises qui frappent le pays (politiques, sanitaires, sécuritaires, économiques…)

Cependant, au Liban, la réglementation au niveau de la protection des droits fondamentaux et surtout concernant la protection des données personnelles et de la vie privée reste précaire. Une seule loi a été adoptée en 2018  sur les transactions électroniques et les données personnelles sur cette question. Jusqu’à ce jour, très peu de jurisprudence peut être trouvée, et très peu de doctrine a traité, expliqué, comparé et commenté les dispositions de cette loi. Ainsi, aucune réglementation au niveau du pouvoir exécutif n’a été adoptée pour faciliter son application.

Enfin, je veux présenter ma position en se basant sur mon expérience à l’Université de Montréal. Durant 3 sessions, 6 cours majoritairement à distance, je n’avais pas besoin de prendre aucun test en ligne sous surveillance. Les professeur-e-s ont adopté chacun(e)s une méthode différente et propre à eux en respectant nos droits fondamentaux tout en préservant l’intégrité et la crédibilité des diplômes. Un exemple très pertinent, c’est le cas du cours DRT6903 avec le professeur Vincent Gautrais. Une simple visite à la page descriptive de ce cours et celle de l’évaluation vous donne un exemple sur la variation des différentes méthodes d’évaluation nouvelles, innovatrices et qui poussent les élèves à mieux approfondir leurs recherches.

Par conséquence, le fait de surveiller les élèves en présentiel ne résout pas cette problématique parce que le principe appliqué est : tous les élèves sont honnêtes et intègres sauf preuve contraire. Au contraire, dans le cas de la surveillance numérique, le principe est que tous les élèves sont des «potentiels fraudeurs ». Plusieurs alternatives sont présentes et  mises en place. Appliquez-les !

Commentaires

1 commentaires pour “La surveillance numérique des élèves : une nécessité ?”

Rémy Gaudreau

20 décembre 2020 à 8 h 20 min

Je suis perplexe quant à l’efficacité de ces logiciels de surveillance électronique lors des examens. Même l’École du Barreau du Québec n’en impose pas à ses étudiants et j’ai de la difficulté à concevoir un examen plus important dans la vie professionnelle d’un étudiant en droit que son examen du Barreau. Je pense que nous aurions besoin d’une alternative plus efficace et qui porte minimalement atteinte à la vie privée afin de justifier son implantation. Entretemps, je suis très satisfait de la solution adoptée par l’Université de Montréal et il est vrai que l’université peut favoriser d’autres modes d’évaluation qu’un examen en ligne comme ce fut le cas dans le cours DRT6903.

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