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L’introduction d’une obligation de compétence technologique des avocats

18 novembre 2020
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Le 10 novembre 2020, le Barreau du Québec avisait ses membres des récentes modifications au Code de déontologie des avocats (le « CDA») devant entrer en vigueur le 19 novembre prochain. Conformément aux amendements proposés, les habiletés que tout avocat se doit de développer et de tenir à jour afin d’exercer avec compétence ses activités professionnelles comprendront explicitement les compétences relatives aux technologies de l’information. La réglementation encadrant la prestation de services juridiques au Québec repose sur des valeurs fondamentales, dont la prise en considération du contexte social dans lequel le droit évolue[1]. Depuis les derniers mois, la pandémie mondiale actuelle a forcé bon nombre de professionnels à utiliser les technologies de l’information afin de poursuivre l’exercice de leurs activités. Dans ce contexte, l’encadrement de la pratique du droit se devait d’actualiser son contenu afin d’y préciser une obligation de compétence en matière technologique.  

Toutefois, avant même sa consécration au nouvel aliéna second de l’article 21 du CDA, l’obligation de compétence technologique des avocats était reconnue implicitement en droit québécois. Comme le précisait le Barreau du Québec en 2017 dans son Guide des TI, la connaissance des technologies de l’information est essentielle à la pratique contemporaine du droit et constitue une composante indispensable de la compétence dont doit faire preuve l’avocat en tout temps. Comme il l’énonçait dans ce même Guide :

Qui pourrait aujourd’hui imaginer qu’un avocat puisse pratiquer le droit sans ordinateur, logiciel de traitement de texte, courriel, accès à Internet, ou sans connaître et savoir utiliser les ressources documentaires électroniques − législation, doctrine et jurisprudence?

Poser la question c’est y répondre. La numérisation des outils professionnels de l’avocat a grandement favorisé l’efficacité de la pratique et l’accès à la justice, mais elle présente de nouveaux enjeux de taille en matière de secret professionnel. Les bureaux d’avocats sont une cible prisée des escrocs qui multiplient les tentatives d’hameçonnage (phishing) et les autres cyberattaques en vue de leur soutirer des informations privées, précieuses et sensibles. Cette nouvelle menace au droit fondamental des clients à la confidentialité amène à repenser l’exercice du droit à l’ère numérique.

En ces circonstances, la bonne compréhension et l’utilisation sécuritaire des technologies de l’information par les avocats sont devenues indispensables à la protection des renseignements personnels et confidentiels. À cet égard, l’article 34 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information leur impose une obligation de prudence et de diligence en matière de protection des informations confidentielles. Selon lui, les professionnels doivent protéger la confidentialité des renseignements contenus sur tout document en employant des moyens appropriés à leur mode de transmission et en s’assurant de documenter ces moyens en plus de toute mesure de protection utilisée.

La portée de cette « nouvelle » obligation de compétence technologique demeure incertaine, mais nous nous attendons à ce qu’elle se concilie aux directives antérieures émises par le Barreau du Québec. Conséquemment, suivant le domaine de pratique et la nature des dossiers du professionnel, l’obligation de compétence technologique de l’avocat devrait notamment s’étendre à la bonne connaissance des différents médias sociaux[2]. Ce précédent constat se concilie notamment aux attentes du American Bar Association qui est d’avis que tout avocat devrait comprendre et être informé des risques associés aux technologies de l’information.

Nous sommes également d’avis que l’intégration de cette obligation de compétence au CDA s’inscrira sans difficultés majeures dans l’encadrement juridique actuel de la déontologie. Ainsi, tout avocat devrait, avant d’accepter ou de poursuivre un mandat, évaluer ses habiletés, y compris technologiques, afin de déterminer s’il pourra fournir sa prestation de services juridiques dans les règles de l’art (article 29 al. 1 CDA). S’il ne croit pas posséder les compétences technologiques requises pour mener à terme son mandat et qu’il lui est impossible d’obtenir l’assistance nécessaire à sa bonne exécution, l’avocat devrait, conformément à l’article 49 (3) CDA et aux enseignements du Conseil de discipline dans la décision Foisy, cesser d’agir pour son client.

De plus, nous croyons que le processus d’enquête élaboré aux articles 18 et suivants du Règlement sur l’inspection professionnelle des avocats facilitera l’intégration harmonieuse de cette obligation de compétence technologique. Effectivement, tout avocat ne possédant pas les qualités professionnelles nécessaires à l’usage adéquat des technologies de l’information pourrait potentiellement faire l’objet d’une enquête tenue par le Service de l’inspection professionnelle. Suivant les recommandations du Service, un tel avocat pourrait éventuellement faire l’objet d’une obligation de compléter un stage et/ou un cours de perfectionnement et même voir son permis d’exercice suspendu jusqu’à la réussite de ces conditions[3].    

La contravention à toute obligation de compétence énoncée au CDA justifie l’imposition de sanctions professionnelles importantes. Rappelons seulement le dénouement de l’affaire Lemyre où un avocat a été radié du Tableau de l’Ordre pendant une période de 12 mois après avoir accepté le mandat d’agir comme fiduciaire dans une transaction internationale, sans tenir compte des limites de ses aptitudes et de ses connaissances en matière de financement, d’investissements et de transactions bancaires internationaux. De plus, suivant l’article 156 al. 1 du Code des professions, tout avocat déclaré coupable d’avoir contrevenu à ce Code, à la Loi sur le Barreau ou au CDA par le Conseil de discipline peut notamment se voir imposer (i) une réprimande, (ii) une limitation ou une suspension de son droit d’exercice, (iii) une amende d’au moins 2 500$ et d’au plus 62 500$, ou même (iv) une radiation temporaire ou permanente du Tableau de l’Ordre.

Bien que la gravité des sanctions imposables à un avocat contrevenant à son obligation de compétence en matière technologique devrait être proportionnelle à la gravité de son manquement, nous croyons que l’indifférence et la résistance d’un professionnel à l’égard de l’évolution de la profession d’avocat à une pratique numérique devraient justifier l’imposition de sanctions déontologiques, surtout lorsqu’elles entraînent des risques de porter préjudice au meilleur intérêt du client ou à la confidentialité de ses renseignements.  


[1] Voir le paragraphe 9 du préambule du Code de déontologie des avocats, RLRQ c B-1, r 3.1.

[2] Barreau du Québec, « Guide des TI : Gestion et sécurité des technologies de l’information pour l’avocat et son équipe », janvier 2016, en ligne : <guideTI.barreau.qc.ca>, consulté le 14 novembre 2020.

[3] Voir notamment l’article 113 du Code des professions, RLRQ c. C-26.

Commentaires

1 commentaires pour “L’introduction d’une obligation de compétence technologique des avocats”

Rémy Gaudreau

20 décembre 2020 à 9 h 02 min

Je vois d’un très bon œil l’introduction d’une obligation de compétence technologique pour les avocats. Considérant l’importance que les technologie de l’information ont dans la pratique du droit je me demande même si avant cette modification on aurait pu plaider que l’incompétence technologique porte atteinte à l’obligation de compétence générale de l’avocat même si l’incompétence en vertu de l’obligation générale de compétence est particulièrement difficile à prouver. Une autre chose qui retient mon attention est que la modification des conflits d’intérêts afin de les simplifier va faire grand plaisir aux étudiants de l’École du Barreau qui n’ont pas encore fait leur examen de déontologie.

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