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La Californie à l’ère de la gig-economy

13 novembre 2020
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À l’ère numérique, l’économie à la tâche, aussi qualifiée de gig-economy, gagne en popularité auprès des employeurs.  Plus spécifiquement, la gig-economy est un modèle d’employabilité qui vise à connecter des entreprises et des travailleurs via une plateforme en ligne (ou app). Des exemples concrets d’entreprises utilisant ce modèle non conventionnel seraient Uber ou encore Foodora. Ainsi, la gig-economy favorise les emplois temporaires et flexibles, au détriment de l’embauche d’employés à temps plein. Les entreprises bénéficient ainsi d’une main-d’œuvre bon marché et envers laquelle elles se considèrent peu redevables. De leur côté, les travailleurs ont beaucoup plus d’autonomie, de flexibilité et ont l’avantage de saisir des opportunités d’emploi qui conviennent plus à leur profile. Ce modèle nécessite de revoir les structures et les dogmes déjà bien établis en matière d’emploi.  Effectivement, ce qui est inquiétant est que la gig-economy menace considérablement la sécurité d’emploi de ses travailleurs. 

La Californie

Le 3 novembre dernier, la Californie a approuvé la « Proposition 22 » . Le référendum visait à déterminer si les chauffeurs des applications d’accompagnement ou de livraison (Uber, Lyft) devaient être considérés comme étant des entrepreneurs indépendants ou plutôt laisser à la Loi californienne la tâche de définir le statut des chauffeurs (employé à part entière de l’entreprise ou entrepreneurs indépendants).

Déclenchement : La nouvelle loi californienne

En 2019, la California Assembly Bill 5 (ci-après « AB5 ») a été adoptée et doit déterminer le statut d’un travailleur. Il s’agit d’une codification de l’arrêt de la Cour Suprême de la Californie Dynamex Operations West, Inc. v. Superior Court of Los Angeles.

En ce sens, il existe désormais une présomption qu’un travailleur est un employé de l’entreprise qui le mandate pour exécuter des services. Le fardeau de prouver qu’un travailleur et un entrepreneur indépendant repose sur les épaules de l’entreprise qui aura à répondre aux critères du “ABC test”

“(A) The person is free from the control and direction of the hiring entity in connection with the performance of the work, both under the contract for the performance of the work and in fact.

(B) The person performs work that is outside the usual course of the hiring entity’s business.

(C) The person is customarily engaged in an independently established trade, occupation, or business of the same nature as that involved in the work performed.”

Cette décision a été déterminante, puisque, en principe, la AB5 confère aux travailleurs des plateformes en ligne la possibilité de bénéficier des avantages dans le California Wage Orders et d’autres lois sur l’emploi de l’État.

Le dénouement : La «Proposition 22»

L’adoption de la loi AB5 n’a, bien évidemment, pas fait l’unanimité chez les entreprises de la gig-economy qui y ont vu une menace venant ébranler leur modèle d’affaires. C’est ce pourquoi les entreprises Uber et Lyft, ont décidé de soumettre la « Proposition 22 ». Le CEO de Uber Dara Khosrowshahi affirme,

 « What Prop. 22 is about is starting to move into the best of two worlds: you’ve got flexibility, you’re your own boss, you’re your own CEO, but you do have protections. »

Durant les derniers mois, les multinationales se sont lancées dans une campagne féroce pour soutirer un vote positif de la population californienne face à leur proposition. Effectivement, 200 millions de dollar US ont été investis pour la conservation de leur modèle économique. L’opération a porté fruit étant donné que les résultats du référendum étaient assez tranchés. Le camp du oui l’a emporté avec 58, 50 % des voix.  Ainsi, exempté de l’AB5, les entreprises de la gig-economy se sont imposés en créant une troisième catégorie de travailleurs qui ne reçoivent que très peu de bénéfices comparativement à de « vrais employés ». En réalité, les chauffeurs californiens resteront des travailleurs indépendants, mais ils auront certains bénéfices qui seront définis en fonction des heures travaillées par semaine. Effectivement, les chauffeurs auront notamment droit à un salaire minimum garanti, mais aussi à une couverture médicale et une bonification de certaines assurances.

En revanche, les détracteurs de la « Proposition 22 » évoquent que les entreprises ont simplement « acheté» une exemption à la loi en vigueur. Ils évoquent également l’exploitation faite par des multinationales sur le dos de chauffeurs qui sont majoritairement issus des minorités visibles. Ils accusent aussi l’État de la Californie d’avoir consciemment violé les droits des travailleurs pendant des années en qualifiant de manière erronée leur statut, et ainsi éviter qu’ils aient droit au salaire minimum, à des soins de santé, à des congés de maladie/ parentaux payés, à une assurance chômage et à la couverture des accidents de travail.

La suite : qui prendra le contrôle ?

À l’annonce de leur victoire le CEO de Uber a affirmé:

“Going forward, you will see us more loudly advocate for new laws like Prop 22.… it’s a priority for us to work with governments across the US and the world to make this a reality.”

En conséquence, l’influence de ces entreprises semble assez redoutable et compromettante pour les droits des travailleurs. Outrepasser la loi en Californie n’est que le début d’une guerre pour ancrer de nouveaux standards en matière d’employabilité. Néanmoins, même si Uber, Lyft et autres plateformes du genre ressortent victorieux en Californie, la constitutionnalité de l’initiative sera remise en question.

Au Canada

Une décision qui a fait grand bruit au Canada en lien avec la gig-economy est certainement Uber Technologies inc v. Heller. La Cour Suprême du Canada a autorisé l’action collective initiée en Ontario par Heller déclarant ainsi la clause d’arbitrage prévue au contrat comme étant abusive. Aussi, la majorité des juges ont déclaré que le contrat avec Uber pouvait effectivement nier certains avantages aux travailleurs puisque le contrat de travail n’indique pas que les chauffeurs sont des employés de la compagnie. Effectivement, les chauffeurs, n’étant pas qualifié d’employé, ne peuvent être régis pas la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (LNE). Ainsi, cette victoire est considérable et importante pour les droits des travailleurs de la gig-economy.  Il s’agit selon plusieurs d’un pas important venant freiner certains élans des entreprises; le futur de la gig-economy semble scellé au Canada.

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