droitdu.net

Un site utilisant Plateforme OpenUM.ca

Vers une redéfinition de l’étendue des « Géants du Web »?

26 octobre 2020
Commentaires
Permalien

Ce mardi 20 Octobre a ouvert une période que l’on pourrait qualifier de révolutionnaire, en ce que Google, géant du web, s’est vu ( enfin ) poursuivre par la justice américaine pour abus de position dominante. Ce moment marque un véritable tournant, dont nous n’avons peut-être pas encore conscience, à l’image des grandes révolutions législatives du temps des baron des chemins de fer ou des géants du pétrole. Mais comment se déroule cette affaire, et quels ont été ses débuts ?

L’enquête

Depuis plus d’un an une enquête est menée par la sous-commission de la chambre des représentants relativement à l’application des lois antitrust à l’égard des entreprises Google, Apple, Facebook, et Amazon, les GAFA. Cette enquête va mettre en évidence les pratiques anti concurrentielle de Google, sur lequel on va ici s’attarder, mais aussi plus globalement des GAFA.

Les services antitrust aux États-Unis doivent

« s’assurer qu’une entreprise respecte les lois de la concurrence loyale, ne bloque pas l’innovation pour préserver ses rentes, ne fait pas grimper les prix et ne réduit pas in fine les choix des consommateurs. »

C’est par exemple le but premier de la FTC.

En effet, c’est la Federal Trade Commission qui avait ouvert l’enquête en 2019, et qui a pour objectif de faire respecter le droit de la consommation et veiller au respect de la libre concurrence, du droit de la concurrence. Elle est la principale autorité fédérale en matière de concurrence et avait dès lors ouvert l’an dernier des enquêtes « visant Google, mais aussi Amazon, Apple et Facebook, soupçonnés de pratiques anticoncurrentielles pour conforter leur position sur leurs marchés respectifs ».

Au travers de ces enquête,s une audition sans précédent des patrons des GAFA avait même été mené par la Commission judiciaire de la Chambre des représentants du Congrès américain le 29 Juillet 2020. De ce fait, les CEOs Sundar Pichai (Alphabet, maison mère de Google), Tim Cook (Apple), Mark Zuckerberg (Facebook) et Jeff Bezos (Amazon), avaient donc été auditionné aux fins de l’enquête mené depuis plus d’un an sur la « possibilité d’abus de position dominante par ces géants du numérique » et le respect des lois antitrust par ces dernier.

David Cicilline, le président du sous-comité sur la concurrence, chargé de présider cette audition, y avait même estimé que les GAFA

« ont trop de pouvoir » et conclu que «  Ce que nous avons entendu des témoins à l’audience a confirmé les preuves que nous avons rassemblées au cours de l’année dernière ».

Cette enquête de plus d’un an est à présent arrivé à une conclusion non équivoque de 449 pages selon laquelle les GAFA abusent de leur « pouvoir monopolistique », et faisant état des pratiques anticoncurrentielles de ces dernières.

Le Rapport 

De cette longue enquête un rapport de 449 pages a été émis le 6 Octobre dernier par les parlementaires américains du sous-comité antitrust de la chambre des représentants.

Ce rapport, mettant en exergue la puissance de ces géants numériques, annonce clairement la tournure que va prendre cette affaire qui devrait être révolutionnaire.

« To put it simply, companies that once were scrappy, underdog startups that challenged the status quo have become the kinds of monopolies we last saw in the era of oil barons and railroad tycoons. »

La procédure lancée 

Le 20 Octobre 2020 la procédure est officiellement lancée par le département de la Justice américaine. Le département de la justice des États-Unis ( DOJ ) a finalement poursuivit Google pour atteinte au droit de la concurrence par « le maintien illégal de monopoles par des pratiques anticoncurrentielles et d’exclusion sur les marchés de la recherche et de la publicité de recherche ». L’objectif du DOJ est clair, « remédier aux préjudices causés à la concurrence ».

Le département de la justice ainsi que 11 États américain ont dès lors officiellement émis une plainte de 64 pages à l’encontre de Google selon laquelle « Google aurait illégalement maintenu son monopole dans le marché des moteurs de recherche en recourant à des pratiques anti-compétitives et d’exclusion ». Selon le département de la justice, « Google a maintenu sa domination dans les moteurs de recherche et empêché l’émergence de moteurs concurrents en signant des ententes d’exclusivité avec les fabricants de téléphones et les fournisseurs de services, pour que son moteur de recherche soit inclus et activé par défaut ».

Le plus marquant c’est que dès le premier paragraphe le ton y est donné en énonçant que :

« Two decades ago, Google became the darling of Silicon Valley as a scrappy startup with an innovative way to search the emerging internet. That Google is long gone. The Google of today is a monopoly gatekeeper for the internet, and one of the wealthiest companies on the planet, with a market value of $1 trillion and annual revenue exceeding $160 billion. For many years, Google has used anticompetitive tactics to maintain and extend its monopolies in the markets for general search services, search advertising, and general search text advertising—the cornerstones of its empire. »

Par cette constatation aussi véridique qu’alarmante, le département de la justice pose le premier jalon de ce qui devrait être un procès très long.

Les buts poursuivis 

Le Département de la justice, appuyé par la très grande majorité des États américains, a en conséquent pour objectif d’empêcher des pratiques et un tel comportement anticoncurrentiel de la part de Google. Comme l’annonce également le département, il se doit d’apporter des remèdes à ces violations et restaurer la compétition comme il l’a fait

« depuis plus d’un siècle dans des cas notables impliquant des monopoles sur d’autres industries critiques qui sous-tendent l’économie américaine comme Standard Oil et le monopole téléphonique d’AT&T ».

Ce combat, opposant d’un côté la justice américaine et de l’autre le géant économique et numérique Google, sera digne de ce qui s’est passé pour les géants des autres secteurs du « passé ».

Dans ce fameux rapport de 449 pages, le sous-comité précise sur une bonne trentaines de pages des recommandations qui pourraient voir le jour afin de palier à cette problématique de taille. Présidé par David N. Cicilline, le sous-comité énonce comme principaux objectifs la restauration d’une compétition dans l’économie digitale et un renforcement des lois antitrust.   Cela pourrait avoir notamment pour conséquence de restreindre les secteurs d’activités de ces entreprises dominantes, divisant potentiellement ces dernières en plusieurs entités distinctes, et entrainant a fortiori un démantèlement.

Mais également, dans un souci d’appuyer la libre concurrence, et laisser une chance aux plus petites entreprise d’innover, le sous-comité suggère « that Congress consider shifting presumptions for future acquisitions by the dominant platforms » afin qu’ainsi « any acquisition by a dominant platform would be presumed anticompetitive unless the merging parties could show that the transaction was necessary for serving the public interest and that similar benefits could not be achieved through internal growth and expansion ».

Un procès révolutionnaire

Ce procès lancé tout juste le 20 Octobre dernier marque un véritable tournant révolutionnaire mondiale, touchant autant le secteur numérique, économique que législatif.

Comme la souligné William Kovaic, un ancien membre de l’autorité de la concurrence américaine FTC,

« Dans le domaine de la concurrence aux Etats-Unis, nous n’avons pas connu d’enquête et proposition politique avec une telle ambition et un tel ton depuis quarante-cinq ans. C’est presque un manifeste ».

Nous sommes au cœur d’une nouvelle révolution législative qui se met en place, et dont nous ne pouvons appréhender tous les effets futurs. A l’image des révolutions touchant les géants économiques d’antan, présent dans les secteurs des chemins de fer, des telecoms, ou encore du pétrole, comme le précise si bien le rapport du sous-comité anti-trust, nous sommes à un instant crucial de l’histoire ou beaucoup de chose vont se jouer et où une remise en cause de ces nouveaux magnats s’impose.

Mais encore, outre cette question de « révolution numérique », il s’agit aussi de répondre à la question de la souveraineté des États. Comme l’a précisé Pierre Louette, PDG du groupe Les Échos – Le Parisien,  «Google et Facebook ne sont pas au-dessus des États et des lois»,  « Le droit de la concurrence doit s’adapter à des situations nouvelles »

Il s’agit donc également d’un combat pour la souveraineté.  On ne peut pas imaginer que des lois ne soient pas respectées ou soit contournées par une entreprise, même aussi grosse que Google. Il ne faut pas que ces entreprises deviennent « Supranationale », dépassent l’autorité des États.

Pour conclure il me semble judicieux de citer Michel Serres, qui semblait avoir un temps d’avance sur notre période.

« Aujourd’hui nous n’avons peut-être pas conscience de la nouveauté extraordinaire des temps dans lesquels nous vivons ».

Commentaires

Laisser un commentaire

Sur le même sujet

Derniers tweets