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Les plus jeunes au regard de l’identité numérique : entre péril et protection juridique

28 octobre 2020
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La LOI n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 portant l’encadrement de l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne a été publiée en France, il y a de cela quelques jours, au Journal officiel du 20 octobre 2020.

Ce billet de blogue présente un bref cliché des préjudices causés à la génération des plus jeunes et met en relief le droit de ces victimes, à la loupe des dispositions légales en vigueur en France, aux États-Unis et au Canada sur le commerce électronique.  

État des lieux

Avec le développement de la technologie numérique, la plupart des adolescents deviennent de plus en plus accrocs à l’usage de l’internet, en particulier des réseaux sociaux. Découverte de contenus illégaux, usurpation d’identité, suicide en raison d’intimidation incessante, harcèlement, exploitation et abus sexuel, risque de devenir cyberdélinquants, incitation à la violence, soumission à la traite et atteinte à la vie privée : tels sont, parmi tant d’autres, les dommages occasionnés par l’utilisation abusive du numérique . En effet, parlant du droit à la vie privée, c’est à tort et à travers qu’un nombre croissant des adolescents diffusent photos, vidéos et tout type de données personnelles, sans même se soucier, dans la plupart des cas, des conséquences néfastes de tels agissements. 

Dans le livre intitulé ‘’Les enfants dans un monde numérique’’, le directeur général de l’UNICEF, M. Anthony Lake, eut à dire :

« En protégeant les enfants contre les pires aspects de la technologie numérique et en élargissant leur accès à ce qu’elle a de meilleur à offrir, nous pouvons faire pencher la balance du bon côté. »

Tout pour dire que l’utilisation non abusive du numérique peut en revanche apporter beaucoup d’avantages. 

Une protection juridique qui tombe à point

La LOI n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne présente bien des points saillants qui sont en adéquation avec la pression du moment. Parmi ses articles, il convient de mentionner, en tout premier lieu, le deuxième alinéa du point no. 5 de l’article 1 qui stipule :

« En cas d’obtention de l’autorisation mentionnée au 5° du présent article, l’autorité administrative délivre aux représentants légaux une information relative à la protection des droits de l’enfant dans le cadre de la réalisation de ces vidéos, qui porte notamment sur les conséquences, sur la vie privée de l’enfant, de la diffusion de son image sur une plateforme de partage de vidéos. Cette information porte également sur les obligations financières qui leur incombent, en application de l’article L. 7124-25. »

L’article 6-2, de son coté, met en évidence la possibilité pour une Autorité administrative dédiée de saisir l’Autorité judiciaire, dans les droits et les intérêts de l’enfant mineur : 

« Art. 6-2.-Lorsque l’autorité administrative compétente mentionnée à l’article L. 7124-1 du code du travail constate qu’un contenu audiovisuel est mis à la disposition du public sur une plateforme mentionnée au 5° du même article L. 7124-1 en méconnaissance de l’obligation d’agrément préalable prévu au titre du même 5° ou de l’obligation déclarative prévue à l’article 3 de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne, elle peut saisir l’autorité judiciaire selon les modalités et dans les conditions prévues par voie réglementaire afin que cette dernière ordonne toute mesure propre à prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un trouble manifestement illicite. »   

D’autres éléments pertinents sont considérés dans les articles 5, 6, et 7 :

  • Publication d’un bilan périodique de l’application et de l’effectivité de ces chartes par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (article 5) ;
  • Droit du mineur à l’effacement des données à caractère personnel sans le consentement des autorités parentales (article 6) ;
  • Remise au Parlement par le Gouvernement d’un rapport qui évalue le renforcement de la protection des données des mineurs (article 7).

Justement, cette réglementation des activités des moins de 16 ans en France constitue une réponse adaptée à toute éventuelle exploitation abusive des enfants ‘’youtubeurs’’ ou ‘’influenceurs’’, dans le contexte d’un lien de travail. Ces balises permettent également de prévenir bien des préjudices que les mineurs pourraient subir.    

Et qu’en est-il de ce droit aux États-Unis ?

Le droit au respect de la vie privée n’est pas garanti de façon générale aux États-Unis. Selon la jurisprudence américaine, ce droit doit être prévu par chaque État. Ce qui a occasionné l’adoption de plusieurs lois, suivant les États. Parmi ces lois, considérons le Children’s Online Privacy Protection Act (ci-après COPPA) et le Privacy Rights for California Minors in the Digital World (ci-après PRCMDW).

La COPPA, adoptée par le Congrès américain en octobre 1998, assurent la protection du droit à la vie privée des enfants de moins de 13 ans qui consultent les services en ligne à eux destinés :

« Generally, under this part, an operator must:

(a) Provide notice on the Web site or online service of what information it collects from children, how it uses such information, and its disclosure practices for such information (§ 312.4(b));

(b) Obtain verifiable parental consent prior to any collection, use, and/or disclosure of personal information from children (§ 312.5). »

Cette loi fait obligation au fournisseur d’obtenir le consentement d’un parent. Ce dernier a également le droit de demander l’effacement des données sur l’enfant sans avoir de preuve à fournir. Malheureusement, les enfants de 13 à 17 ans sont livrés à eux-mêmes.       

La PRCMDW a été adoptée en 2013, en Californie, en faveur des utilisateurs de moins de 18 ans. Cette loi leur interdit tout particulièrement toute publicité conçue pour eux :

« (a)  An operator of an Internet Web site, online service, online application, or mobile application directed to minors shall not market or advertise a product or service described in subdivision (i) on its Internet Web site, online service, online application, or mobile application directed to minors. »

De plus, ces enfants ont le droit de demander le retrait de toute information les concernant, publiée en ligne par eux-mêmes. Il s’agit d’une protection du mineur contre lui-même. Le contenu publié par des tiers ne peut être visé :

« (1) Permit a minor who is a registered user of the operator’s Internet Web site, online service, online application, or mobile application to remove or, if the operator prefers, to request and obtain removal of, content or information posted on the operator‘s Internet Web site, online service, online application, or mobile application by the user. »

Regard sur le droit québécois et canadien  

La loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (L.C. 2000, ch. 5) garantit au Canada le droit à la vie privée. L’article 3 de cette loi y fait référence en ces termes :

« La présente partie a pour objet de fixer, dans une ère où la technologie facilite de plus en plus la circulation et l’échange de renseignements, des règles régissant la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels d’une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l’égard des renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d’utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances. »

Au Québec, ce droit est assuré par la Charte des droits et libertés de la personne et le Code Civil du Québec. L’article 3 du CCQ dit clairement :

« Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. »

Et l’article 35 d’insister :

« Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.« »

Dans ces deux articles, l’expression ‘toute personne’ fait référence aux adultes aussi bien qu’aux enfants. Donc, à l’instar des adultes, les enfants canadiens jouissent de la protection de leur vie privée. Ces lois assurent la protection du droit à l’image et à la réputation. En tout premier lieu, il incombe aux parents de respecter et de faire respecter ces droits, puisque ce sont eux qui exercent les droits de leurs enfants en leur nom. Dans cette optique, ils ne peuvent brandir l’article 2b de la Charte canadienne des droits et libertés pour publier des données personnelles de leurs enfants comme des vidéos, des photographies, la date de naissance … sur les réseaux sociaux, sous prétexte de jouir leur pleine et entière liberté d’expression.

L’article 9.1 de la Charte québécoise prévoit que les « libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques. » De ce fait, la jouissance d’un droit prévu dans cette charte n’est pas absolue. Il s’avère donc important de tenir compte des autres droits fondamentaux qui y sont prévus.

Selon l’article 33 du Code Civil du Québec, « Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits. »

En continuité de ce sens, le droit canadien place les parents, toute personne et autorité de décision au-devant de la scène en vue du respect et de la protection des droits à vie privée des mineurs.

En définitive, bien que très utiles, les lois américaines et canadiennes en matière de vie privée et numérique offrent aux enfants une faible protection. Les cadres juridiques paraissent peu adaptés aux réalités du moment, compte tenu du niveau de dangerosité auquel la génération des moins jeunes s’expose quotidiennement. Malheureusement, les législations remettent entre les mains des parents le droit à la vie privée de leurs enfants. Imaginons un instant le cas où c’est un parent qui est à l’origine de la violation de ce droit (…). Et que penser du manque de sensibilisation des parents sur la question ? A considérer l’autre côté de l’équation, la France vient de renforcer, dans la LOI n° 2020-1266 du 19 octobre 2020, le devoir de contrôle et de suivi en insistant sur les responsabilités des autorités administrative et judiciaire et accorde un droit à l’oubli pour l’enfant. Cette approche pourrait être une solution inspirante pour les États-Unis et le Canada.  


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