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Quand jeu vidéo et droit s’emmêlent : tapas d’enjeux juridiques autour de Google Stadia

15 avril 2019
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Après des rumeurs de plus en plus persistantes, Google s’est enfin décidé à révéler au monde entier sa vision du futur jeu vidéo : Google Stadia.

Adieu le hardware et bonjour le cloud mais la technique n’est pas la seule à être impactée par ce changement de paradigme qui devrait arriver au Canada dès la fin d’année.

En effet, c’est potentiellement le droit de la concurrence, de la vie privée ainsi que la collecte de données pour algorithmes avides d’apprentissage qui verront arriver de nouvelles situations juridiques sujettes à réflexions. Petit tour d’horizon.

Le Cloud Gaming n’est pas novateur en tant que tel. Pouvoir jouer par l’échange d’informations via des data centers afin de n’utiliser que l’infrastructure réseau au lieu d’un matériel graphique situé dans l’appareil est déjà possible avec le Playstation Now ou Shadow.

Néanmoins, la promesse de Google est d’aller plus loin, plus fort et d’utiliser ses autres services déjà bien ancrés pour proposer une expérience accessible au grand public mais surtout de ne pas rater la vague du cloud.

Au-delà de la faisabilité technique et du débit internet nécessaire au bon fonctionnement de ce service, c’est l’occasion pour nous de soulever les problématiques que cette nouvelle façon de consommer le jeu vidéo amène d’un point de vue juridique.

GOOGLE ET VIE PRIVEE – Un changement de mentalité ?

Le Cloud Gaming nécessite une connexion permanente à internet pour streamer le jeu vidéo du data center à l’appareil du joueur.

Toutes les formes de jeu seront donc sujettes à la collecte de données. Mais quelles données ?

L’utilisation d’Ok Google, qui permet au joueur de demander de l’aide en toutes circonstances, nécessite que le micro soit allumé en tout temps occasionnant ainsi la captation d’un nombre considérable d’informations.

A cet égard, il y a lieu de rappeler l’affaire récente de Google Nest Secure où l’entreprise avait « oublié » de mentionner l’existence d’un microphone dans l’appareil vendu.

Avec Stadia, Google annonce clairement dans sa keynote la présence (obligatoire ?) d’une captation sonore en la justifiant par l’avancée technologique d’obtenir une solution directement en plein jeu.

Ce qui ne fait pas pour autant oublier les polémiques autour de Google Home et sa captation en continu mais un changement de mentalité sur la protection de la vie privée peut être observé du côté des joueurs de jeux vidéo.

En effet, Microsoft avait annoncé en 2013 sa nouvelle console de jeux vidéo livrée avec un accessoire (à ce moment-là obligatoire) : le Kinect. Cet appareil possédait une caméra ainsi qu’un microphone et permettait de contrôler sa console de jeu par la voix, tout comme la proposition de Google Stadia.

Néanmoins, la perspective d’être entendu n’avait pas vraiment enchantée la communauté à l’époque et, au final, Microsoft fit machine arrière et Kinect fut amputé de son caractère obligatoire.

En 2019, pareille polémique ne semble pas enfler autour de l’annonce d’Ok Google dans Google Stadia.

Certes, ici seul le microphone est impliqué or il apparaît que les individus sont particulièrement concernés par la présence d’une caméra dans ce genre d’appareil : l’absence de caméra devenant un argument de vente car moins attentatoire à la vie privée alors même que le microphone, lui, reste allumé !

Derrière ce constat étonnant, nous pouvons malgré tout avancer que les mentalités concernant la protection de la vie privée ont rapidement évoluées au vu de l’intégration de plus en plus profonde de dispositifs ayant des capacités de captation dans de plus en plus d’appareils. Nous en avons simplement pris l’habitude.

Si en 2013 placer un objet dans notre salon qui permettait de nous espionner semblait farfelu, c’est beaucoup moins le cas en 2019.

Ce n’est pas pour autant qu’il faudra omettre de se pencher sur la problématique liée à cette fonctionnalité qui reste une grande intrusion dans la vie privée des individus.

Au-delà de ça, nous nous dirigeons vers l’émergence d’un nouveau type de données qui deviendra le nerf de la guerre dans le développement des algorithmes : l’utilisation des jeux vidéo.

Combien de temps avez-vous passé à jouer et sur quel jeu, avec quelle personne, après avoir regardé quelle vidéo (Google Stadia devrait permettre de lancer un jeu vidéo directement à partir de Youtube), quel choix faites-vous dans les jeux qui proposent plusieurs embranchements (ce qui n’est pas sans rappeler les discussions autour de l’épisode « Bandersnatch » de Black Mirror où Netflix conservait tous nos choix), quel chemin empruntez-vous dans le jeu vidéo, etc. ?

Toutes ces données ne constituent pas forcément des renseignements personnels au sens actuel de la loi (on pense par exemple au nombre de bonus récoltés et autres statistiques bénignes) mais toutes ces données seront utilisées pour alimenter les algorithmes, dernière partie de notre analyse.

Ce ne sont certainement pas les politiques de confidentialité de Google qui aideront à y voir plus clair, Google ayant pris la mauvaise habitude de proposer une politique de confidentialité générale qui n’est pas précisée en fonction du produit utilisé.

L’interconnexion des services Youtube, Ok Google, Google Chrome dans le cadre de Stadia ne facilite de toute façon pas la tâche pour comprendre le cheminement de la collecte de données.

GOOGLE ET DROIT DE LA CONCURRENCE

Nous l’avons dit, le Cloud Gaming existe déjà à l’heure actuelle mais Google dispose de moyens conséquents ainsi que de services bien installés qui lui permettront peut-être de prendre rapidement une position dominante sur le marché.

La crainte d’un leverage peut déjà se déduire de la keynote qui précise que Google Stadia ne sera disponible « au lancement » que via Google Chrome, le leader sur le marché des navigateurs internet.

Google ne s’arrête pas là et cherche aussi à réparer l’une de ses rares (?) désillusions : posséder son propre réseau social.

Alors que Google+ a fermé ses portes au début du mois d’avril, Google Stadia pourrait devenir le réseau social des gamers grâce à l’utilisation (pour ne pas dire l’obligation) d’un compte Youtube pour participer aux activités de la communauté et contrecarrer Twitch par la même occasion en permettant des interactions en live que seule l’utilisation combinée de Stadia et Youtube permettront.

Par exemple, les fans d’un streameur pourront ainsi le rejoindre dans une partie en un instant ce qui offre de nouvelles perspectives, sur le papier, quant aux relations entre créateurs et visionneurs de contenus.

Néanmoins, cette liaison obligatoire des services nous rappellent d’anciennes affaires, au niveau de l’Union Européenne, desquelles Google n’est pas sorti gagnant comme Google Shopping ou Google Android bien que la situation que Google Stadia propose reste inédite en termes d’offres liées.

Google peut-il valablement constituer un écosystème « Google » dans le jeu vidéo sans abuser de sa position dominante ?

GOOGLE ET DEEP LEARNING – Les algorithmes, la concurrence, la vie privée et la propriété intellectuelle

L’intelligence artificielle fait partie intégrante du jeu vidéo mais son émergence actuelle et à venir est sans pareille.

Nous assistons à une véritable ruée vers l’or dans tous les domaines et particulièrement le jeu vidéo. Si auparavant l’intelligence artificielle était cantonnée à désigner la réaction des personnages dans le jeu vidéo, elle fait désormais partie intégrante de son processus de production (voire de création).

Tout le monde se lance : développeurs, éditeurs, constructeurs de consoles,…

Ubisoft, par exemple, a lancé « La Forge » il y a quelques années chargée de s’occuper de la recherche et développement autour des innovations technologiques dont l’intelligence artificielle fait bien entendu partie et qui s’appuie notamment sur le neural network.

Les intelligences artificielles sont désormais utilisées à la place de personnes humaines pour tester certaines parties de jeux vidéo et en tirer des conclusions plus rapidement et plus facilement traduisibles que lors d’un test d’assurance qualité classique comme ce fut le cas avec The Division 2.

Mais Google a l’avantage avec Stadia d’obtenir, comme un constructeur de console, des données de TOUS les jeux lancés sur sa plateforme qui est connectée en permanence à internet. Ainsi, les algorithmes que Google développera dans le domaine du jeu vidéo seront alimentés par un nombre plus conséquent de données (or au plus l’algorithme est alimenté en données au plus il deviendra performant par machine et deep learning) ce qui devrait lui donner une nouvelle fois un leverage pour acquérir une position dominante dans ce marché qui s’annonce fructueux.

Nous pouvons ainsi observer une nouvelle fois la dissonance entre les algorithmes de deep learning qui requièrent un nombre conséquent de données même si au final une bonne partie sera éliminée (processus inductif) et la vision juridique de la protection de la vie privée qui privilégie de réfléchir à l’avance sur un petit ensemble de données pour n’en collecter que l’essentiel (processus déductif).

Mais la concurrence et la protection de la vie privée ne sont pas les seuls domaines juridiques où de nouvelles questions peuvent se poser, il y a aussi la propriété intellectuelle. Nous l’avons dit, l’intelligence artificielle peut être utilisée dans l’élaboration comme assistance mais nous pouvons anticiper et lui donner bientôt le rôle de créateur de jeu vidéo.

Dans sa keynote, Google est très confiant sur la création algorithmique qui soulagera le travail des designers dans le processus de création (maps, textures, animations,…).

Nous connaissions déjà les niveaux générés de manière procédurale mais l’idée est d’aller beaucoup plus loin à l’instar de Nvidia qui a montré en fin d’année dernière la première intelligence artificielle capable de générer un monde virtuel à partir de données collectées de la même façon que Google Street View.

Transposée au jeu vidéo, cette intelligence artificielle pourrait rapidement développer ses propres jeux.

Viendra alors l’épineuse question concernant les droits d’auteurs, qui rejoint l’excellent travail entamé par Caroline Jonnaert sur la « paternité » des œuvres issues d’intelligence artificielle et les possibilités d’adaptation du dispositif légal applicable quant aux jeux vidéo créés en tout ou partie via l’utilisation d’algorithmes.

En conclusion, nous n’avons certainement pas fini d’entendre parler de droit et de jeu vidéo. Dans les années à venir, les questions soulevées dans ce billet devront trouver des réponses, qu’elles viennent du marché ou de la (co-)régulation.

Margrethe Vestager, commissaire européenne à la concurrence, a très justement évoqué que nous sommes en plein digital age dans un digital world et l’analyse de notre exposé va également en ce sens.

Le digital world a changé les mentalités des individus qui, paradoxalement, donnent beaucoup de valeur à leurs données (sans doute plus que par le passé) mais consentent aussi plus facilement à les laisser entre les mains d’autrui par le biais de véritables appareils espions.

Le jeu vidéo n’est pas épargné par cet abandon inconscient (on pense notamment à l’augmentation du dématérialisé qui fait perdre la propriété du joueur sur l’objet physique) et la volonté de Google de s’y implanter démontre aussi l’importance que ce média – qui a dépassé le cinéma en termes de revenus depuis longtemps – aura dans le digital world et dont il ne faut pas négliger les contours juridiques aujourd’hui encore flous (par exemple la question des lootboxes qui n’est pas encore résolue à l’heure actuelle).

La réflexion a déjà commencé (nous pensons notamment à la CNIL sur les algorithmes au sens large) mais les avancées technologiques et les nouveautés (au moins en apparence) ne facilitent pas la tâche d’anticipation en partie nécessaire dans cet exercice difficile.

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