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Ne conduisez pas sans connaître la loi

14 octobre 2018
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Conduire sous l’influence. Conduire sans documents. Ces deux scénarios ont une chose en commun : ils constituent une infraction punissable sous peine d’amende ou même emprisonnement. Mais que se passe-t-il lorsqu’on oublie un document de bonne foi ?

Il n’y a probablement rien de plus angoissant que d’oublier ou de perdre un document important. Que ce soit aussi minime que de perdre une facture pour retourner un bien, ou aussi grave que de ne pas avoir avec soi son attestation d’assurance en cas d’accident, oublier un document peut avoir de sérieuses répercussions juridiques sur quiconque a le malheur de se retrouver sans support dans un moment inopportun. Heureusement, nous vivons dans l’ère de la technologie où nous avons la possibilité d’avoir accès à certains documents en forme papier ou en forme électronique. Certes, il faut tout de même s’assurer de l’interchangeabilité des documents et de leur équivalence fonctionnelle. Lorsque cette dernière est assurée, peu importe que le document soit sur un support papier ou un support technologique, les deux auront force de loi. Nous pouvons le constater à travers l’exemple de la décision du 11 septembre dernier, de la Cour municipale de la Ville de Laval.

Le 25 février 2018, Kamal Harmouch a été accusé d’avoir conduit son automobile sans son attestation d’assurance, ce qui violerait l’article 35 du Code de la sécurité routière (CSR). Dans le jugement Ville de Laval c. Harmouch, Me Kamal n’avait pas la version papier de son attestation et cru bon de montrer la version électronique à l’agent sur son téléphone cellulaire. Néanmoins, ce dernier refusa de regarder sa copie électronique stipulant que seule la copie en papier a force de loi. Pour en venir à une telle conclusion, l’agent tint compte de l’article 98 de la Loi sur l’assurance automobile qui se lit comme suit :

« 98. L’assureur émet l’attestation d’assurance au plus tard dans les vingt et un jours de la demande d’assurance.

Si l’attestation d’assurance n’est pas émise dès le moment de l’acceptation, l’assureur doit délivrer, sans frais, au moment de l’acceptation, une attestation provisoire pour une durée de vingt et un jours ; cette attestation doit indiquer les mentions prévues aux paragraphes 1, 2 et 4 à 6 de l’article 97 ainsi que la période de validité de l’attestation. »

La justification de l’agent est que les compagnies d’assurances ont l’obligation, en vertu de cet article, de transmettre une copie papier. Par contre, il erre dans son analyse de l’article puisque celui-ci fait mention d’« émettre » l’attestation, ce qui peut se faire en plusieurs formes, notamment sur un support technologique. Néanmoins, il ne faudrait pas confondre les obligations qui incombent aux immatriculations en vertu de l’article 27 du Code de la sécurité routière (CSR) et celles pour les attestations d’assurance. Cette dernière « ne requiert pas une obligation de signature du document » alors que la première nécessite une signature au moment d’avoir reçu le certificat d’immatriculation et, pour cela, requiert une version papier et plus précisément le document original.

Le Tribunal donne gain de cause au défendeur. Une des raisons pour cela est que nous vivons dans une ère où il est « quasi impossible » pour certains d’avoir accès à une technologie telle un ordinateur alors qu’il y a des personnes qui se soucient de l’environnement et préfèrent utiliser les méthodes technologiques au lieu d’opter pour du papier. Il y en a aussi qui préfèrent avoir accès à plus de sources en moins d’espace. Ceci dit, les personnes devraient bénéficier du choix du support technologique qu’ils veulent utiliser.

Nous pouvons retrouver ce droit sous l’article 2 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information LRQ, c-1.1.

« 2. À moins que la loi n’exige l’emploi exclusif d’un support ou d’une technologie spécifique, chacun peut utiliser le support ou la technologie de son choix, dans la mesure où ce choix respecte les règles de droit, notamment celles prévues au Code civil.

Ainsi, les supports qui portent l’information du document sont interchangeables et, l’exigence d’un écrit n’emporte pas l’obligation d’utiliser un support ou une technologie spécifique. »

Mais encore, nous pouvons voir la notion de l’équivalence fonctionnelle à l’article 1 (3) de cette loi qui assure la même valeur aux documents, peu importe leur support. Ceci est confirmé à l’article 9 de la loi, tant que l’intégrité de chacun des documents est assurée et qu’ils respectent les règles de droit les régissant. Cet article peut être rattaché à l’article 5 (2) qui confirme que le document papier et le document technologique ont la même valeur juridique tant que l’intégrité est assurée. Les articles 5 et 6 sont intégrés en partie à l’article 2839 du Code civil du Québec et définissent l’intégrité d’un document. Ceci devrait être lu conjointement avec l’article 10. En effet, à travers la lecture de l’article 10, nous revoyons la notion d’intégrité et pouvons déduire que le législateur entendrait même favoriser la preuve technologique. Effectivement, cet article prévoit que les changements de forme du document n’affecteront pas sa validité ni sa preuve. Un document électronique a aussi le bénéfice d’avoir des métadonnées. Les métadonnées permettent d’avoir accès à des informations à propos d’un document qui ne sont normalement pas visibles, sauf dans les propriétés du document. Mais encore, ils permettent non seulement de retracer l’historique de celui-ci, mais ils peuvent aider à démontrer l’intégrité du support. Cela dit, c’est « une information qui explique le contexte d’un document, d’un événement ou d’une activité ». L’importance des métadonnées est illustrée aux paragraphes 99, 102 et 103 du jugement Benisty c. Kloda. Finalement, l’article 29 empêche d’imposer une technologie à une personne qui ne la possède pas, donc donne la liberté de choix du support comme vu à l’article 2.

Le Tribunal serait donc d’avis que l’article 35 du Code de la sécurité routière (CSR) permet de posséder son attestation d’assurance sur un support électronique. En effet, le verbe « avoir » de cet article oblige le détenteur de l’assurance à l’avoir sur soi afin de « pouvoir donner, si nécessaire, tous les renseignements contenus sur l’attestation ». Ceci est possible sur papier ainsi que sur support technologique. C’est un bel exemple d’une équivalence fonctionnelle.

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