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La Cour d’appel du Québec renverse une décision condamnant eBay en dommages-intérêts

31 octobre 2018
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Le 19 octobre dernier, la Cour d’appel du Québec a renversé une décision de la Cour supérieure, qui condamnait la filiale Canadienne de la société eBay à verser 86 700$ en dommages-intérêts à deux utilisateurs de sa plate-forme. Le recours initial en responsabilité civile des deux utilisateurs avait été entendu en septembre 2016. Il a donc fallu un peu plus de deux ans au plus haut tribunal de la province pour se prononcer sur les obligations contractuelles applicables à une société exploitant un marché mondial, via une plate-forme Internet.

Il s’agit assurément d’une décision non-négligeable puisqu’à l’ère du numérique, les règles de droit et les lois doivent être interprétées à la lumière des enjeux juridiques nées de la digitalisation. Tel qu’affirmé par Indragandhi Balassoupramaniane dans le Journal du Barreau, il a déjà près de 20 ans :

« Un des effets directs de l’apparition de l’Internet sur la scène internationale est sans nul doute le développement du commerce et des affaires en général. Des milliers de contrats sont conclus quotidiennement sur la Toile entre internautes provenant des quatre coins du monde et les ventes aux enchères n’échappent pas à cette fièvre. […] Cependant, la nature même de ce type de contrat soulève, dans certains cas, de nombreux problèmes juridiques. En effet, la vente aux enchères fait intervenir la présence d’un tiers, chargé de mettre en vente le bien offert et de le déclarer adjugé au plus offrant et dernier enchérisseur. Or, le statut de ce dernier diffère d’un pays à l’autre. »

Faits et historique judiciaire

La cause oppose eBay Canada Ltd. c. Mofo Moko. Les intimés (Mofo Moko) sont deux frères. L’un deux dispose d’un compte eBay, mais n’a jamais utilisé ce compte afin de vendre et/ou acheter des biens sur la plate-forme. Avec son accord, son frère publie une enchère sur le site d’eBay (l’appelante), à l’égard d’une paire de chaussures de sport conçues par Nike et devant être mise en vente à compter du lendemain. Puisqu’il n’est pas encore en possession des chaussures en question, il ajoute une photo générique de celles-ci et fixe l’enchère à un prix de départ de 750 $, pour une durée de 3 jours. Dans les heures qui suivront, plusieurs enchérisseurs feront subitement grimper le prix de l’enchère initiale à près de 50 000 $. Quelques heures avant la fin de l’enchère (3 jours), le prix de cette dernière atteindra 98 000 $! Au même moment, eBay retire l’enchère de la plate-forme, la jugeant potentiellement douteuse. Elle transmet un message à ce sujet sur le compte appartenant à l’un des intimés. Elle autorise également l’intimé en question à reprendre l’enchère selon les mêmes conditions. Or, les mises de la deuxième enchère n’excédant pas 1900 $, cette dernière est retirée par l’un des intimés, quelques heures seulement après avoir été mise en ligne. Quelques mois plus tard, les intimés intentent une action en responsabilité civile contre eBay afin que celle-ci soit condamnée à leur verser le prix maximum atteint par l’enchère initiale, soit 98 000 $. En première instance, la Cour Supérieure avait accueilli la demande des intimés et condamné eBay à payer 86 7000 $ en dommages-intérêts, et ce, puisqu’elle considérait qu’eBay avait commis une faute en retirant l’enchère sans préavis et qu’il s’agissait d’une forme de résiliation de contrat en vertu des articles 2126 et 2129 du Code civil du Québec. eBay a appelé de cette décision.

Interprétation et décision

La cour est d’avis que la juge de première instance a erré en droit lorsqu’elle a déterminé que la situation juridique de la cause en question était assimilable à une résiliation unilatérale de contrat. Cette erreur de droit déterminante est suffisante en soi, aux yeux des trois juges, pour accueillir l’appel d’eBay. En ce sens, la cour affirme :

« La résiliation d’un contrat est une mesure définitive; elle entraîne l’anéantissement de la relation contractuelle pour l’avenir. Or, en l’espèce, eBay, informée de circonstances lui laissant croire à une utilisation inappropriée de sa plate-forme informatique, a décidé de retirer l’enchère dans l’intérêt de ses utilisateurs, sans pour autant mettre fin à sa relation contractuelle avec Kevin, ni même désactiver ou suspendre l’utilisation de son compte. Kevin pouvait ainsi continuer à bénéficier de sa relation contractuelle avec eBay et utiliser la plate-forme eBay. À preuve, Thierry a pu remettre les chaussures Foamposite en vente, à même le compte de Kevin, quelques heures après le retrait de l’enchère initiale. Au plan juridique, la juge devait donc se prononcer sur le caractère raisonnable ou abusif de l’exercice d’un droit par eBay dans l’exécution continue du contrat, non sur sa résiliation. Cette erreur de droit est déterminante en l’espèce. »

La cour est également d’opinion que les obligations contractuelles d’eBay doivent être interprétées à la lumière du contexte global des activités de cette dernière. En ce sens, le droit d’eBay de retirer une enchère sans préavis n’est pas abusif, si l’on considère que ce droit vise à protéger la plate-forme, ainsi que ses centaines de milliers d’utilisateurs, contre la fraude et les abus. Les utilisateurs d’eBay, par le biais de la création de leur compte et de la signature des conditions et politiques d’utilisation de la plate-forme, autorisent eBay à exercer un certain contrôle de la sécurité du site de ventes. Ce contrôle comprend le droit d’eBay de retirer une enchère lorsqu’elle est portée à croire qu’il s’agirait d’un cas d’usage abusif ou illégal de sa plate-forme.

« La question juridique qui se pose donc en l’occurrence n’est pas celle portant sur une résiliation unilatérale du contrat, mais plutôt celle de savoir si l’exercice par eBay du droit contractuel de retirer une enchère, si les circonstances s’y prêtent, constitue, dans ce cas-ci, un abus de droit. » 

Conclusion

En tenant compte de l’accroissement soudain des enchères (quelques heures), du fait que l’enchère initiale provenait d’un compte eBay n’ayant jamais été utilisé auparavant, de la courte durée de cette dernière (3 jours), ainsi que du fait que d’autres enchères similaires et publiées au courant de la même période faisaient l’objet d’offres ne dépassant pas 3 200 $, la cour est d’avis qu’eBay avait le droit contractuel explicite de retirer l’enchère, et ce, puisqu’elle avait en l’espèce des motifs plus que raisonnables de croire à un usage abusif de sa plate-forme.

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