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Décision de la Cour Européenne des droits de l’Homme : la surveillance de masse opérée par l’agence de renseignement du Royaume-Uni viole les droits humains

18 septembre 2018
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Dans une décision rendue le 13 septembre 2018, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné les pratiques de surveillance de masse opérées par l’agence de renseignement britannique, le Government Communications Headquarters (GCHQ). En effet, dans l’affaire Big Brother watch et autres c. Royaume Uni, et suite aux révélations du lanceur d’alerte Edward Snowden, 16 organisations de défense des droits de l’homme tels que Big Brother Watch, Privacy international et Amnesty International ainsi que des journalistes d’investigation comme Alice Ross, ont saisi la CEDH afin de mettre un terme aux pratiques abusives de surveillance de masse qui portent atteintes aux droits des citoyens et particulièrement au droit à la vie privée et à la liberté d’expression.

Dans son jugement de plus de 200 pages, la CEDH affirme au grand dam des organisations de défense des droits de l’homme que la surveillance de masse opérée par le GCHQ est légale mais que la pratique de celle ci n’est toutefois pas accompagnée de garanties suffisantes pour prévenir les abus (§307). Ainsi, la Cour donne en partie raison aux requérants en dénonçant les pratiques du GCHQ qui portent atteinte aux droits de la Convention européenne des droits de l’homme, sans pour autant condamner totalement la surveillance de masse opérée par le gouvernement britannique. Elle condamne les pratiques d’interceptions massives des communications menées par le GCHQ puisque celles-ci sont en contradiction avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui énonce le droit à la liberté d’expression et l’article 8 sur le droit à vie privée.

Si le droit à la vie privée fait partie de la catégorie des droits qualifiées qui peuvent être momentanément altérés par les gouvernements afin de garantir la sécurité nationale, la Cour n’as pas jugé que les lois en question procuraient un niveau de garantie suffisant pour justifier des interférences aux droits des citoyens dans une société démocratique (§347). La manière dont sont sélectionnées les câbles de communications à espionner et l’information qui y transite ont tout deux fait particulièrement l’objet de critiques par la Cour.

Au centre des préoccupations de cette affaire et du jugement rendu par la Cour, se trouve aussi la protection des communications de la presse et des journalistes et notamment la protection de l’identité de leurs sources (§495). Comment défendre la liberté d’expression et de la presse si les journalistes ne peuvent plus enquêter sans la surveillance des autorités étatiques ?

Par ailleurs, la question du partage de données entre agences de renseignements et particulièrement entre le GCHQ et l’agence de renseignement américaine, la National Security Agency (NSA), était un autre aspect de ce jugement très attendu. La Cour a, sur ce point, exprimé un avis contraire aux attentes des requérants, en affirmant que ce partage de renseignement était suffisamment encadré puisque la Commission des pouvoirs d’enquête offre un recours suffisant aux plaintes pour ingérences étrangères (§430, §444).

Malgré tout, nombreux sont ceux qui comme Edward Snowden se réjouissent de cette décision européenne tant attendue:

« Pendant cinq ans, les gouvernements ont nié que la surveillance de masse violait nos droits. Et pendant cinq ans, nous les avons poursuivis dans les couloirs de tous les tribunaux. Aujourd’hui, nous avons gagné. Ne me remerciez pas, remerciez ceux qui n’ont jamais cessé de se battre. »

En effet, bien que ce jugement s’adresse uniquement au gouvernement britannique, celui ci sert désormais de précédent pour les 47 états membres du Conseil de l’Europe et on peut donc envisager que ces états mettront à jour leurs lois nationales de surveillance afin de répondre aux exigences nouvelles de la Cour énoncée clairement dans cette décision. Mais est-ce réellement suffisant pour garantir le droit à la vie privée des citoyens ?

Hélas, ce jugement reste très insuffisant pour la défense des droits des citoyens dans leur communications et activités en ligne puisque celui ci ne condamne ni les programmes de surveillance de masse ni le partage de données entres agences de renseignement. Ainsi, les états peuvent sous prétexte de protéger la sécurité nationale espionner l’ensemble de leurs citoyens, sans justification, ce qui porte atteintes à leurs droits qui devraient être défendus par la Convention européenne des droits de l’homme. Le Haut commissaire des nations unies pour les droits de l’homme à de même récemment déclaré que :

«Alors que certains États affirment qu’une telle surveillance de masse indiscriminée est nécessaire pour protéger la sécurité nationale, cette pratique n’est pas autorisée par le droit international des droits de l’homme, car une analyse individualisée de la nécessité et de la proportionnalité ne serait pas possible». (§17).

La surveillance de masse est donc de par sa nature contraire aux droits de l’homme et aux principes de proportionnalité et de nécessité.

Ainsi, ce jugement de la Cour européenne des droits de l’homme s’est contenté de déclarer que les garanties étaient insuffisantes sans pour autant condamner la surveillance de masse. Peut-on réellement se satisfaire de ce jugement à demi-mesure ?

Il semble que non puisque de nombreux activistes mettent en évidence le retard des systèmes de protection des droits des citoyens face aux avancées technologiques. Ainsi, la bataille pour le droit à la vie privée et à la liberté d’expression est loin d’être terminée. Comme l’a déclarée Cynthia Wong, chercheuse senior sur l’Internet et les droits humains à Human Rights Watch :

« À mesure que nos vies deviennent plus dépendantes de l’informatique, une surveillance incontrôlée peut entraîner une corrosion des droits de chaque individu et des principes de l’état de droit».

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