Qu’est-ce qu’un patent troll ? Pour certains acteurs des nouvelles technologies les patent trolls sont des vampires moraux qui achètent les brevets de sociétés, se constituent des « piscines de brevets » afin de pouvoir par la suite débusquer et d’attaquer d’autres entreprises qui enfreindraient les brevets acquis. Un brevet étant le dépôt d’une invention devant l’organisme local de délivrance des brevets, comme l’Office de la Propriété Intellectuelle du Canada, en échange d’une reconnaissance de la paternité de l’invention. Le dépôt de brevet confère le droit à un monopole d’exploitation de l’œuvre à son détenteur durant un temps déterminé. Elle est de 20 ans au Canada.
Le fonds de commerce des patent trolls peut donc être associé à un combat contre l’innovation et pour l’immobilisme. En effet ces sociétés ne produisent aucun bien ou service, elles acquièrent des brevets qu’elles n’exploitent pas mais dont elles offrent la licence d’exploitation à de vraies entreprises contre monnaie sonnante et trébuchante, ainsi que sous la menace d’assignation devant un tribunal en cas de refus. En effet les patent trolls sont promptes à dégainer les actions en contrefaçon, conformément à l’article 54 de la Loi sur les brevets, dans le cas où l’entreprise ne céderait pas. Les victimes paient souvent car un procès même gagné coûte souvent plus cher en frais de justice que le fait d’acheter la licence d’exploitation. Les patent trolls sévissent surtout dans les secteurs des hautes technologies. Pour le moment les patent trolls sont des entités parfaitement légales car elles ne font que faire appliquer le droit. C’est plutôt leur manière de faire des affaires qui est répréhensible.
En 2012 l’Union Européenne a proposé à ses membres un projet de règlement concernant les brevets. Ce projet a pour but d’instaurer au sein de l’Union Européenne un système de brevet commun à tous les Etats membres. Ce brevet unitaire a pour but de rendre le coût du dépôt d’un brevet au sein de tous les pays membres, un seul dépôt de brevet suffira pour sa protection dans toute l’Europe. Ce qui implique, et ce n’était pas le cas avant, que la défense du brevet pourra se faire devant un seul tribunal de son choix sans qu’il y ait la nécessité d’assigner le défendeur dans le pays où l’infraction a été commise. Les poursuites devenant plus faciles pour les actions en contrefaçon de brevet sur tout le territoire européen, le brevet est alors mieux protégé.
C’est pourquoi fin septembre, plusieurs entreprises du secteur high-tech s’inquiètent et préviennent les dirigeants européens que ce projet de règlement tel qu’il a été déposé est une possible prémisse à l’arrivée massive des patent trolls, et des dérives qu’ils entrainent, dans la forteresse Europe. En effet ils viennent de cosigner une lettre dans laquelle ils attirent l’attention des législateurs européens sur des failles procédurales qui permettraient l’arrivée des trolls en Europe. Ce détournement des fonds publics et cet engorgement des tribunaux paralysent déjà le système des brevets aux Etats Unis, où selon une étude en 2012 la plupart des actions en contrefaçon de brevets (61%) sont intentées par des patent trolls.
Différents organismes, élus ou sociétés comme l’Electronic Frontier Fondation, Google ou encore des élus du Congrès américain proposent différentes réformes et techniques pour lutter contre les patent trolls en attendant une loi qui vienne définir légalement les patent trolls et les interdire. Toute la difficulté étant dans la définition d’un patent troll, qui peut être difficile à différencier d’entreprises réelles faisant valoir leurs droits.
Google propose une nouvelle forme de protection des brevets. L’entreprise ne voulant plus de ces guerres larvées à propos des brevets a fait une promesse où elle n’utiliserait son arsenal de brevets pour se défendre seulement en cas d’attaque par une entreprise concurrente. En plus de cela, Google a créé des accords ou contrats types telle la Defensive Patent Licence afin d’encourager l’innovation et d’éviter la judiciarisation du domaine des brevets.
L’Electronic Frontier Fondation y va aussi de ses propositions pour éviter la gangrène du patent trolling. Cette fondation défendant les droits digitaux et l’innovation propose elle aussi quelques modifications aux lois sur les brevets afin de couper l’herbe sous le pied des patent trolls. Il faudrait que les coûts du procès soient supportés par le plaignant et non par le défendeur, avoir plus de transparence quant aux parties au procès, les brevets doivent être des solutions spécifiques à des problèmes précis. En plus de ces quelques pistes de réforme, la fondation met un lien vers un site citoyen qui se propose de répertorier les patent trolls afin de mieux les combattre et met en ligne le Inventor’s Patent Agreement afin d’aider à l’innovation et à la défense des brevets.
Certaines entreprises, qui en ont les moyens, contre-attaquent en cas de procès en contrefaçon de brevets en assignant les patent trolls américains selon le RICO Act qui permet de poursuivre les organisations criminelles qui versent dans le racket d’entreprises légales. L’utilisation du RICO Act se base sur le fait que menacer d’assigner plusieurs entreprises en contrefaçon de brevet, si elles ne paient pas la licence d’exploitation, alors que l’on n’exploite même pas soi-même son brevet, est du racket organisé. Ces types de contre-attaques n’ont pas encore montré leur efficacité, toutefois voici la lettre d’assignation type contre les patent trolls.
Et enfin plusieurs députés américains ont proposé un projet de loi visant à éradiquer les patent trolls. Ce SHIELD Act (Saving High-tech Innovators from Egregious Legal Disputes) a pour but d’amener les entreprises assignant en contrefaçon de brevet à y repenser à deux fois avant de le faire. En effet si l’entreprise qui assigne perd le procès, celle-ci va devoir payer les frais de justice du défendeur. Cela implique que si les patent trolls veulent assigner d’autres entreprises, ils ont intérêt d’être sûr de remporter le procès et qu’il y a donc bien eu contrefaçon de brevet. Ces procès pouvant coûter des millions de dollars, cela permettrait aux petites entreprises de pouvoir se défendre sans avoir peur des frais liés au procès en cas de victoire. Ce texte tend aussi à protéger les inventeurs, les universités et les entreprises qui exploitent réellement les brevets en leur évitant de payer les frais de la partie adverse en cas de défaite car ces personnes ont un réel intérêt à faire respecter la protection accordée à leurs brevets.
En somme il faut espérer que les tentatives citoyennes, entrepreneuriales ou légales pour arrêter le système des patent trolls en Amérique du Nord vont aboutir, et espérer que les dirigeants européens vont introduire des dispositions visant à empêcher les dérives du patent trolling dans le projet de règlement européen concernant le brevet unitaire. L’introduction de protection contre les patent trolls dans le règlement européen est nécessaire car il s’applique nonobstant les droits nationaux des pays membres, et sans transposition dans l’ordre juridique national.