De nos jours, rares sont les individus qui ne possèdent pas un téléphone intelligent. Ces appareils nous accompagnent partout au quotidien, et il est difficile d’imaginer un monde sans eux aujourd’hui. Parmi les utilisateurs de téléphones intelligents, il est relativement simple d’en trouver dont l’écran est fracturé ou dont la batterie se décharge à une allure folle. L’on se pose donc la question suivante : puis-je réparer mon téléphone moi-même pour prolonger sa durée de vie ? À première vue, la réponse semble évidente, mais ce n’est pas si simple.
La garantie
Premièrement, lorsqu’un appareil est couvert par la garantie limitée du vendeur, il est généralement plus facile et moins dispendieux de s’en prévaloir. De plus, la garantie devient souvent nulle si l’on tente d’effectuer des réparations non-autorisées par le vendeur. Toutefois, la garantie limitée du vendeur est relativement courte ; la garantie limitée offerte par Apple pour leur iPhone, par exemple, n’est que d’un an. Heureusement, au Québec, il existe la Loi sur la protection du consommateur (« LPC ») qui, à son article 38, prévoit qu’un bien doit avoir une durée de vie raisonnable – il s’agit de la garantie légale. Cette garantie légale s’applique automatiquement, mais il n’est pas forcément facile de s’en prévaloir.
En théorie, il devrait être raisonnable de s’attendre à ce qu’un téléphone intelligent soit fonctionnel pendant au moins la durée du contrat téléphonique avec lequel il a été acheté (souvent deux ou trois ans) ; personne ne serait content d’avoir à continuer à payer un téléphone non fonctionnel pendant 6 mois ! D’autre part, la Cour du Québec a déjà rendu une décision voulant qu’un consommateur devait être indemnisé pour le fait que son téléphone ait cessé de fonctionner après 22 mois d’utilisation normale. Cependant, se prévaloir de la garantie légale est plus compliqué qu’il n’y paraît.
Sans connaître l’existence de la garantie légale, il n’est pas possible de s’en prévaloir. Souvent, les commerçants vont plutôt proposer l’achat d’une garantie supplémentaire (parfois appelée garantie prolongée) à la garantie limitée. Et à ce sujet, vous rappelez-vous avoir été informé de l’existence de la garantie légale sur le produit ? Non ? Moi non plus. Je vous invite à simuler le processus d’achat d’un iPhone en vous rendant sur le site d’Apple. Lorsque l’on propose l’achat d’une garantie prolongée, il n’y a aucune indication de l’existence d’une garantie légale. Pourtant, l’article 228.1 de la LPC oblige les commerçants à informer les consommateurs de l’existence d’une garantie légale avant de proposer la vente d’une garantie supplémentaire.
« 228.1 Le commerçant doit, avant de proposer au consommateur de conclure, à titre onéreux, un contrat comprenant une garantie supplémentaire relative à un bien, l’informer verbalement et par écrit, de la manière prescrite par règlement, de l’existence et du contenu de la garantie prévue aux articles 37 et 38.
[…]
Le commerçant qui propose à un consommateur de conclure un contrat comprenant une garantie supplémentaire relative à un bien sans lui transmettre préalablement les informations prévues au présent article est réputé passer sous silence un fait important et, par voie de conséquence, se livrer à une pratique interdite visée à l’article 228. »
Génial ! Vous connaissez vos droits et êtes au courant de la garantie légale, et vous êtes prêt à aller faire réparer votre iPhone, acheté il y a 18 mois sur apple.com, sans vous prévaloir de la garantie prolongée « AppleCare+ ». Pas si vite ! Ça risque d’être plus compliqué que prévu, il n’y a qu’à lire l’expérience de Me Marie Annik Grégoire, professeure titulaire de droit à l’Université de Montréal. Armée de ses connaissances, elle s’est confrontée à Apple, et non sans peine. C’est à se demander si cette garantie prolongée à 150$ est en fait une option viable…
La réparation
Bon, vous n’aviez pas acheté la garantie prolongée AppleCare+, et la garantie limitée est expirée. Apple propose un service de réparation, mais le prix d’une réparation d’écran est exorbitant et dépasse votre budget. Vous avez tout de même des habiletés DIY (« do it yourself », faites-le vous-même), et vous souhaitez réparer vous-même votre écran. Encore là, ce n’est pas si simple. En effet, Apple a la fâcheuse tendance à rendre les réparations de ses produits plus compliquées. Ce genre de pratique douteuse est source de nombreux débats autour du droit à la réparation (« right to repair »). Vous souvenez-vous du temps où il était possible de « charger » un téléphone de 0% à 100% en l’espace d’une minute ? Il suffisait de retirer la coque arrière du téléphone et d’insérer notre batterie de rechange. Aujourd’hui, les téléphones intelligents haut de gamme n’offrent plus ce genre d’option.
Le droit à la réparation, tel qu’il est proposé par l’Union européenne, ne se limiterait pas seulement au fait de pouvoir effectuer des réparations soi-même, notamment à l’aide de guides fournis par les manufacturiers eux-mêmes, mais également à la mise à disposition, pendant jusqu’à six ans, de pièces et composantes requises pour effectuer ces réparations. Au Canada et au Québec, il n’existe pas encore de règlementation concrète entourant un possible droit à la réparation. À noter tout de même que la LPC prévoit à son article 39 que le vendeur d’un bien qui est de nature à nécessiter un travail d’entretien doit rendre les pièces de rechange et les services de réparation pendant une durée raisonnable. Malgré cela, difficile de confirmer qu’un téléphone intelligent nécessite un travail d’entretien, qui plus est que le commerçant peut se dégager de cette obligation s’il avertit le consommateur avant la vente !
Les logiciels
Au-delà de la réparation physique de nos appareils électroniques, il ne faut pas oublier, notamment pour des téléphones intelligents, que ces appareils sont plus que la simple somme de leurs composantes : ils intègrent également un système d’exploitation (« operating system »), et fonctionnent à l’aide de milliers de lignes de code informatique. Ce code informatique est mis à jour par les manufacturiers pendant une période arbitraire qui dépend de leur bon vouloir. Par exemple, Apple offre des mises à jour logiciel pendant 6 à 8 ans sur ses iPhone. D’un autre côté, Samsung offre des mises à jour logiciel pendant quatre ans. Mais quel est l’intérêt de ces mises à jour ?
Les mises à jour des logiciels avec lesquels fonctionnent les téléphones intelligents permettent notamment, outre l’ajout de fonctionnalités supplémentaires, de réparer des failles de sécurité dans les systèmes. Lorsqu’un appareil n’est plus mis à jour par son fabricant, les failles de sécurité qu’il contient deviennent permanentes. Grâce à l’adoption du projet de loi C-272 par la Chambre des communes du Canada en juin 2021, il est désormais possible et légal de « contourner une mesure technique de protection qui protège un programme d’ordinateur dans le seul but d’effectuer tout diagnostic, tout entretien ou toute réparation sur un produit auquel le programme est intégré. » Avant cela, il était illégal de modifier le code informatique d’un appareil pour tenter de le réparer parce que cela contrevenait au droit d’auteur. Cette loi rejoint donc le concept voulant qu’il devrait exister un droit à la réparation de nos appareils, et nous pousse donc à nous demander pourquoi, au Canada, il n’existe pas de réel droit à la réparation tel qu’il est en train de se développer en Europe ?
Dans le même ordre d’idées, et pour pousser les choses encore un peu plus loin, l’Allemagne a récemment demandé à l’Union européenne de contraindre les gros manufacturiers de téléphones intelligents, tels Apple et Samsung, à fournir des mises à jour logiciel pendant au moins sept ans pour leurs téléphones (bien que nous ayons vu ensemble qu’Apple respecte déjà cette exigence). Cette demande s’inscrit dans un effort de protection de l’environnement qui a pour objectif de pousser les consommateurs à conserver leurs appareils plus longtemps, et ainsi à réduire la quantité de déchets électroniques. Elle a comme conséquence aussi de combattre l’obsolescence programmée qui pousse les gens à se procurer l’appareil le plus récent lorsque le leur ne reçoit plus de mises à jour.
Et donc ?
Pour l’instant, et tant et aussi longtemps que le législateur ne s’en mêle pas, notamment en imposant des sanctions aux entreprises qui ne respectent pas les lois en vigueur en matière de protection du consommateur, ou en n’imposant pas de règlementation concrète encadrant la durée de vie raisonnable d’un bien, la durée de sa garantie légale et la possibilité de le réparer facilement, le consommateur québécois est livré à lui-même et devra continuer à faire un choix entre la réparation de son téléphone, ou l’achat d’un nouveau pour quelques (centaines de) dollars de plus.
Commentaires