[Introduction] Le 28 octobre 2020, trois associés de Langlois avocats soit Mes Annie Bourgeois, Bernard Jolin et Jessica Syms ont donné une formation intitulée : « Abus des réseaux sociaux : enjeux et recours face à ces attaques virtuelles ». Cet article de blogue résume les principaux points abordés lors de cette conférence en respectant la structure et les thèmes de leur présentation. Nous aborderons les enjeux liés à la diffamation, au harcèlement, à l’intimidation et aux menaces sur les réseaux sociaux qui jouent un rôle de plus en plus important dans l’univers du commerce électronique.
1. Mise en contexte et exemple
[Cantley] Dans les dernières années, il y a eu une forte augmentation des comportements inadéquats exposés plus haut qui découlent d’un usage questionnable de la liberté d’expression. À cet effet, la municipalité de Cantley a tout récemment obtenu justice contre un citoyen anonyme qui avait accusé sans fondement deux de ses élus municipaux de corruption. Elle a choisi de procéder par injonction afin d’obtenir l’adresse IP et l’adresse de résidence de ce citoyen. Ce dernier a par la suite présenté une lettre d’excuses, a accepté d’assumer les frais juridiques de la ville et a payé une indemnité aux deux élus municipaux qu’il avait insulté.
[Catégories] Les exemples de situation dans lesquelles une personne abuse des réseaux sociaux se déclinent à l’infini. Cependant, trois grandes catégories peuvent être identifiées. La première est les clients mécontents qui partent en guerre de principe contre l’entreprise. La seconde est les citoyens qui s’en prennent aux élus. La dernière est un certain type de journaliste qui travaille dans ce que l’on appelle fréquemment les radios poubelles. Il y a bien entendu d’autres personnes qui peuvent se livrer à des propos qui entraînent une faute civile.
2. Enjeux et recours pour l’organisation
[Définition] Le harcèlement, les menaces, la diffamation et l’intimidation ne sont pas définies dans le Code civil du Québec. Il y a toutefois une définition de harcèlement psychologique dans les lois du travail de prévue à la Loi sur les normes du travail (art. 81.18). Au début de 2021, le Code canadien du travail devrait également être amendé pour contenir une telle définition.
La Cour a tenté de définir ces concepts dans VD c. GDE. Elle utilise la définition du dictionnaire le Petit Robert afin de définir ce que constitue du harcèlement tandis que dans Boyer c. Langlois, la Cour interprète ce que signifie de l’intimidation à la lumière de la définition du dictionnaire le Petit Larousse. Dans Bouchard c. Poirier, la Cour a décrété que des gestes intimidants sont ceux qui peuvent raisonnablement entraîner une crainte pour la sécurité. Il n’y a pas encore de définition législative ou jurisprudentielle de tous ces concepts, mais bien des normes pour les encadrer.
[Diffamation – balance] D’une part, il faut faire un exercice de balance entre le droit à la liberté d’expression et celui à la réputation lorsque nous sommes dans un contexte de diffamation. Il est important de noter que l’appel au boycottage résulte de l’exercice de la liberté d’expression et n’est pas diffamatoire.
[Harcèlement – recours] D’autre part, l’employeur a l’obligation de mettre en place des politiques afin de contrer le harcèlement. Son obligation en est toutefois une de moyens et non de résultat. Ce faisant, il n’a pas à intenter une demande en justice dans chaque cas qui lui est rapporté. Les recours potentiels d’un salarié victime de harcèlement sont une plainte pour harcèlement ou lésion professionnelle à la CNESST, un grief, une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et la poursuite civile devant les tribunaux de droit commun.
[Obligation du conseil d’administration] De plus, le conseil d’administration a des obligations de prudence, d’honnêteté, de diligence et de bonne foi comme cela a été déterminé par les lois en droit des affaires ainsi que les décisions BCE et People. De bonnes pratiques sont que les administrateurs connaissent les procédures en place en lien avec le harcèlement et qu’il y ait un mécanisme de reddition des comptes des administrateurs.
3. Recours possibles
[Type recours] Il y a principalement deux types de recours possibles dans le cas d’abus des réseaux sociaux. Le premier est l’injonction tandis que le deuxième est la demande en dommages et intérêts. Il faut cependant noter que dans le cas spécifique de la diffamation, le délai est d’un an de la connaissance des paroles diffamatoires (Art. 2929 CCQ).
[Injonction] L’injonction est une
« ordonnance de la Cour Supérieure qui enjoint à une personne de ne pas faire quelque chose, de cesser de faire quelque chose ou d’accomplir un acte déterminé. »
Elle peut être provisoire, interlocutoire ou permanente. Dans le cas précis de l’injonction provisoire, les tribunaux exigent qu’elle soit demandée très rapidement pour être obtenue. Aux quatre critères classiques de l’injonction s’ajoutent des critères spéciaux en matière de diffamation. Ainsi, la parole doit être véritablement diffamatoire et le préjudice doit être véritablement irréparable.
[Dommages et intérêts] Pour ce qui est des dommages et intérêts, ce recours peut être présenté seul ou de manière conjointe avec une injonction. Les différents types de dommages qui peuvent être demandés sont les dommages pécuniaires, les dommages non pécuniaires et les dommages punitifs. Les dommages punitifs, quant à eux, ne peuvent être obtenus que lorsque la loi le prévoit (Art. 1621 CCQ). Il est possible d’obtenir environ 20 000 $ lorsqu’une personne morale est victime de diffamation par une autre personne avec une intention malicieuse. Pour ce qui est des dommages non pécuniaires, une dizaine de critères ont été établis par la jurisprudence. À cet effet, les tribunaux vont notamment considérer la gravité de l’acte, l’intention de l’auteur et la diffusion des propos diffamatoires sur les réseaux sociaux.
4. Conseils pratiques
[Politique interne] Plusieurs conseils pratiques peuvent être donnés. L’un d’entre eux est que les entreprises adoptent une politique sur le harcèlement et le traitement des plaintes. Il est également pertinent d’avoir des formations afin que les employés sachent que de telles politiques sont en place et de rappeler leur existence. Il peut également être pertinent de faire de la sensibilisation auprès des tiers en énonçant que notre établissement est sans intimidation de quelque nature que ce soit.
[Qui a le recours] L’employeur peut également entreprendre des recours devant les tribunaux après avoir envoyé une mise en demeure à la personne fautive. Il faut toutefois bien distinguer entre les recours que l’employeur peut prendre et ceux qui sont personnels au salarié. À cet effet, l’employeur peut recommander au salarié de consulter un avocat payé par l’employeur.
[Gouvernance] D’autres conseils en matière de gouvernance et de gestion sont d’engager un gestionnaire de plateformes sociales, de faire affaire avec une firme de relations publiques, de monter un dossier étoffé lorsque survient une situation d’abus des réseaux sociaux et de considérer obtenir une lettre d’excuse comme réparation.
5. Conclusion
[Résolution alternative des conflits] En doctrine, les auteurs Beaudoin, Deslauriers et Moore énoncent que l’arrivée d’Internet a pour effet de faciliter les atteintes aux droits fondamentaux des personnes[1]. Nous rappelons que malgré cet effet négatif, l’arrivée d’Internet a également permis de faire avancer le commerce électronique et l’accès à l’information. Nous avançons également que des recours aux modes alternatifs de résolution des différends semblent adaptés aux litiges découlant d’un usage abusif des réseaux sociaux.
[1] Jean-Louis Baudoin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile,– Volume 1 – Principes généraux, 8e édition, 2014.
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