Les députés français ont adopté, le 13 novembre dernier, l’article 57 du projet de loi de finance pour 2020. L’article permet, à titre expérimental et pendant trois ans, la collecte massives de données sur les réseaux sociaux pour détecter certaines fraudes par les services fiscaux et les douaniers.
L’article 57 autorise les services Bercy à collecter les données disponibles sur toutes les plateformes en ligne correspondant à la définition de l’article L111-7 par.2 du code de la consommation :
« Est qualifiée d’opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service »
Ainsi, cette collecte se fera, en autres, sur des plateformes comme Facebook, Ebay, Instagram et Twitter.
La collecte massive de données : le meilleur outil contre la fraude selon la Commission des Finances
Dans son projet de loi de finance pour 2020, la Commission des Finances a expliqué l’enjeu auquel pourrait répondre l’adoption de l’article 57 :
« Dans un contexte d’usage de plus en plus massif des outils numériques, il est aisé de réaliser, de manière occulte ou sans respecter ses obligations fiscales ou douanières, une activité économique sur internet, notamment de commerce des marchandises prohibées, grâce aux réseaux sociaux et plateformes de mise en relation par voie électronique. L’administration est aujourd’hui largement démunie pour identifier ces fraudeurs, l’exploitation de ces informations ne pouvant être réalisée manuellement qu’à un coût humain disproportionné. »
C’est pourquoi, la Commission des Finances, cherche, avec l’adoption de l’article 57, à élargir le traitement automatisé des données :
« Pour améliorer la détection de la fraude et le ciblage des contrôles fiscaux, l’administration fiscale développe, depuis 2013, un traitement automatisé de données dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » (CFVR) consistant à appliquer des méthodes statistiques innovantes sur des informations en provenance de l’administration fiscale et d’autres administrations, de bases de données économiques payantes et de données en libre accès.(…)Les résultats encourageants des expérimentations menées ont confirmé l’intérêt de mettre en œuvre ce type de traitement, mais celui-ci est actuellement limité à l’exploitation de données déclarées à l’administration ou publiées par des acteurs institutionnels. »
Ainsi, l’adoption de l’article 57 est motivé par un désir des députés de permettre à l’administration de traiter les données accessibles publiquement et de pouvoir faire un traitement plus rapide grâce à l’utilisation de l’intelligence artificielle.
Amendements adoptés en séance publique
La CNIL s’est prononcée, en septembre, sur le caractère intrusif de cette collecte de données sur la vie privée des citoyens français. Pour elle, l’atteinte d’un équilibre entre l’objectif de lutte contre la fraude fiscale et le respect des droits et libertés des personnes concernées doit être au cœur de l’encadrement de l’article 57. En autres, la CNIL s’inquiète du caractère général de la collecte de données et du délai pendant lequel ces données sont gardées par les autorités fiscales et douanières.
À la lumière de ces recommandations et des inquiétudes soulevées par les députés opposés, la Commission des Finances a adopté, en séance d’examen publique la semaine dernière, les amendements suivants :
Bien que la CNIL ait recommandé la suppression immédiate des données non pertinentes, la conservation des données sensibles, comme celles sur l’orientation sexuelle ou politique, est passée de 30 jours à cinq jours.
De plus, le type de données pouvant être collectées a été précisé. Les fraudes que pourra détecter le dispositif électronique a été restreint aux activités non déclarées, l’économie souterraine et les infractions en matière de domiciliation fiscale.
Finalement, le recours à des sous-traitants pour « aspirer » ces données a été interdit afin d’assurer un meilleur contrôle sur le contrôle des données.
L’article 57 et le contrôle du Conseil constitutionnel
Maintenant qu’il est adopté, l’article 57 doit passer par le Sénat et le Conseil constitutionnel.
Cependant, le Conseil d’État, dans un avis rendu public par Next Inpact, a souligné le fait que l’adoption d’un article de loi n’était pas nécessaire pour une telle collecte et que la loi de 1978 et le RGPD pouvait assurer la protection des données personnelles. Ainsi, la place de l’article 57 est remis en question :
« Ces dispositions, qui ne concernent ni les ressources ni les charges de l’État et ne sont pas davantage relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature qui n’affectent pas l’équilibre budgétaire, ne relèvent pas du domaine de la loi de finances ».
Autrement dit, l’article n’a peut-être même pas sa place dans la loi de finance et ce sera au Conseil constitutionnel de trancher cette question.
Le prétexte de la fraude
Même si l’adoption de cet article est à titre expérimental, l’objet de cette collecte touche un sujet particulièrement sensible. En effet, la fraude semble n’être qu’un prétexte pour permettre aux services fiscaux et douaniers le recueil de masse des données personnelles des français et ainsi avoir un plus grand contrôle sur ses citoyens. L’application de l’article est tellement générale et floue, que certains députés ont même peur que cette collecte force les citoyens français à s’autocensurer par peur de se faire cibler à tort. Bref, en votant l’adoption de cet article, on donne à l’État un trop grand pouvoir de surveillance. Son application est tellement large qu’il est difficile de comprendre le volume d’informations qui seront collectées, sur qu’elles plateformes spécifiques la collecte se fera et l’impact que cette surveillance aura sur le quotidien des français. Finalement, le choix d’avoir inclus cet article dans la loi de finance est aussi douteux. Pourquoi l’adoption d’un décret n’a pas été privilégié ? Certains vont même jusqu’à soupçonner que la disposition est un cavalier législatif. Si c’est le cas, cette tentative est un échec, car l’adoption de cet article fait beaucoup de bruit en France.
Commentaires