Le New York Times nous apprenait tout récemment que le géant Amazon avait déposé deux demandes de brevets pour un bracelet qui permettrait de surveiller ses employés au travail. Bien que, comme le rapporte le quotidien new yorkais, Amazon n’ait pas clairement indiqué si ses plans étaient de réellement fabriquer le bracelet et d’obliger ses employés à le porter sur les lieux de travail, cette nouvelle soulève des enjeux importants en termes de vie privée au travail.
Le gadget
La demande de brevet indique que le bracelet d’Amazon pourrait être utilisé pour surveiller l’exécution par un employé de tâches assignées au moyen d’un suivi par ultrasons de sa (ou ses!) main. Des pulsions pourraient notamment être émises lorsqu’une tâche n’est pas correctement accomplie.
On peut notamment y lire que le port du bracelet par un employé affecté à des tâches d’inventaire permettrait d’identifier et localiser le bac dans lequel l’employé aurait déposé un item, et ainsi comparer si l’item en question aurait été déposé dans le bac auquel il était destiné, et non dans un bac voisin. Le même principe s’applique à l’employé qui doit récupérer un item dans un bac identifié: le système de suivi du bracelet permettrait de savoir si le bon item a été récupéré à partir du bon bac. En cas d’erreur, les informations transmises par le bracelet permettraient de générer d’autres actions à poser.
Bien que ce bracelet puisse paraître très attrayant pour des entreprises cherchant à accroître leur rentabilité par l’amélioration de l’efficacité de leur personnel, il n’en demeure pas moins, comme le soulève à juste point le New York Times, qu’une telle surveillance accrue permettrait fort probablement de savoir combien de temps l’employé passe en pause-dîner, et même combien de fois et combien de temps l’employé a cessé ses tâches pour se rendre à la salle de bain.
Et si ce bracelet se rendait jusqu’ici?
Au Québec, les articles 5 et 24.1 de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte »), ainsi que les articles 3, 35 et 36 du Code civil du Québec sont à l’effet que toute personne a droit au respect de sa vie privée. Cette protection s’étend à l’employé dans son milieu de travail, notamment par l’application de l’article 46 de la Charte.
À ces dispositions s’ajoutent l’article 43 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, à l’effet que « […] nul ne peut exiger qu’une personne soit liée à un dispositif qui permet de savoir où elle se trouve », et les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, dont l’un des fondements est la nécessitéde la collecte des renseignements personnels.
Une éventuelle utilisation du bracelet d’Amazon au Québec devrait donc être effectuée en respect de ces lois. Le but et l’étendue de la collecte des renseignements par le bracelet devraient donc être clairement être expliqués à l’employé visé, qui devrait ensuite avoir l’opportunité d’accepter ou refuser le port d’un tel dispositif. Une entreprise québécoise devrait aussi être en mesure de justifier la nécessité de l’usage de ce bracelet, selon la portée de la collecte d’informations effectuée par ledit bracelet.
Une analogie intéressante peut être effectuée avec le cas des camionneurs, dont les déplacements peuvent être surveillés par GPS. Mes Stéphane Lacoste et Catherine Massé-Lacoste, tous deux avocats en droit du travail,indiquaient dans un article paru en 2011
« […] que l’utilisation d’un système de positionnement d’un véhicule ne soulève aucun problème sérieux quant à la vie privée puisqu’il s’agit simplement de savoir où en est rendu un chauffeur dans son travail, qui consiste justement à se déplacer d’un point à un autre. »
Mes Lacoste et Massé-Lacoste croient
« […] toutefois que cela soulève un problème quant à l’application de la Loi sur le secteur privé parce qu’il ne sera que rarement « nécessaire» d’utiliser un tel moyen de contrôle alors qu’il est possible de simplement communiquer avec le chauffeur, par C.B. ou téléphone cellulaire par exemple, pour lui demander où il est rendu. Il ne faut pas confondre ce qui est «nécessaire» avec ce qui est simplement pratique, voire plus simple ou plus rentable. »
Finalement, comme l’indiquent Mes Lacoste et Massé-Lacoste dans le même article, un principe reconnu par la jurisprudence québécoise est qu’il est généralement interdit d’épier constamment des employés dans le cadre de leurs fonctions.
Il serait donc vraisemblablement difficile pour un employeur d’éventuellement justifier l’utilisation du bracelet d’Amazon pour surveiller, par exemple, les allées et venues d’un employé vers la salle de pause, et non seulement pour vérifier la justesse de l’exécution d’une tâche déterminée.
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