En 2007, un feu de forêt s’est déclenché en Californie et s’est étendu sur plus de 260 km2. Le gouvernement américain a poursuivi la compagnie Sierra Pacific Industries pour négligence. En première instance, la Juge Nichols a conclu que le procureur n’avait pas réussi à prouver le bien-fondé de son action et a condamné l’État de la Californie à rembourser la somme de 32 millions de dollars à Sierra Pacific pour les dépenses judiciaires encourues par cette dernière. Cette décision a été portée en appel devant un juge fédéral qui a conclut qu’il y avait matière à procès, mais les parties ont convenu d’un règlement avant que ce nouveau procès débute. Le 9 Octobre 2014, Sierra Pacific a produit une demande pour faire annuler le règlement intervenu. Le Juge Wiliam B. Shubb rejetta cette demande le 17 avril 2015. Le 6 novembre 2015, Sierra Pacific a produit un mémoire d’appel dans lequel elle contestait la décision du Juge Shubb, qui rejetait la demande d’annulation du règlement. Sierra Pacific allègue, entre autres, que le Juge Shubb a manqué à son devoir d’impartialité.
L’appelante se base sur les faits suivants :
Suite à la décision du Juge Shubb de rejeter la demande de l’appelante, le procureur a utilisé le compte twitter des procureurs [@ECDAnews] de la région de Sacramento pour « retweeter » huit « tweets » les félicitant relativement à cette décision. Le Juge Shubb, qui avait un compte twitter [@nostalgist1] « public » à ce moment-là, était un des « followers » du @ECDAnews et a donc reçu ces « retweets » sur sa page. Selon Sierra Pacific, une telle relation sur les médias sociaux entre un Juge et une des parties crée une apparence de partialité, et un risque de communications ex-parte entre le Juge et une des parties. [p.80 du mémoire d’appel]
Ce n’est pas tout. Le Juge Shubb aurait également publié sur son compte twitter, la même journée, le message suivant : « Sierra Pacific Still liable for Moonlight Fire damages », accompagné d’un lien redirigeant ses « followers » à un article comportant le même titre. Sierra Pacific allègue que, non seulement un Juge ne devrait pas « tweeter » relativement à une affaire qu’il a entendue, mais en plus, le message publié ici est faux [p.81 du mémoire d’appel]. En effet, Sierra Pacific n’a jamais été reconnue coupable. Lors du règlement entre le gouvernement américain et l’appelante, celle-ci n’a pas admit sa culpabilité. L’appelante déclare ce qui suit :
« When a judge selectively posts third-party communications pertaining to his or her cases, it necessarily creates the appearance of bias, especially with respect to articles that are inaccurate and prejudicial. The act of picking and choosing one article of many reveals a willingness to step out of the role of a neutral. By assenting to and posting a particular article, the court entangles itself with the message and slant of that article, thereby creating the appearance of having picked sides or of favoring one spin over another. » [p.82 du mémoire d’appel]
Le droit à un procès équitable et le devoir d’impartialité du juge sont parmi les fondements les plus importants de tout système judiciaire. En droit américain, ces principes se retrouvent dans plusieurs textes de loi dont, notamment, au 5ème Amendement et au 14ème Amendement de la Constitution Américaine, à l’article 453 et 455(a) du Titre 28 du Code des Etats-Unis [28 U.S.C. §453 et 28 U.S.C. §455(a)] ainsi qu’à la Section 3 du Code de Conduite des Juges des Etats-Unis.
Selon un sondage effectué par David Lat dans son article publié sur le site Abovethelaw.com le 18 novembre 2015 et intitulé « A Federal Judge and his Twitter account : a Cautionnary Tale », 85% des gens ayant voté (représentant 1 118 votes) sont d’avis que l’attitude du Juge Shubb n’est pas appropriée, contre 15% représentant 196 votes) qui trouvent qu’il s’agit de futilités.
Tel qu’indiqué dans l’article intitulé « Judge William B. Shubb & His Twitter Accound – We’re scratching our heads » :
« Being part of the fast-moving, influential activity on Twitter can give one a feeling of being a thought leader. And a fun person. But that’s not the business of judges. »
Quelle devrait donc être l’attitude d’un juge sur les réseaux sociaux ? L’utilisation des réseaux sociaux par les juges viole-t-elle automatiquement leur devoir d’impartialité ?
Aux Etats-Unis, la question de l’encadrement de l’utilisation des réseaux sociaux par les juges a fait l’objet de plusieurs débats, mais aucun consensus n’a été atteint :
Cependant, dans son Opinion Formelle 462, l’Association du Barreau Américain (ABA) a émit quelques recommandations. Elle a conclu qu’un Juge se doit de se conduire de la même manière sur le web, que hors du web. [p.1 Opinion Formelle 462]
C’est-à-dire que lors de l’utilisation d’un réseau social par un juge, ce dernier doit s’assurer de respecter les dispositions de son code de conduite. Cela apparaît évident. Il ne faudrait tout de même pas permettre aux juges de faire quelque chose sur internet, qu’ils n’auraient pas le droit de faire autrement !
De plus, les juges devraient faire doublement attention, puisque les réseaux sociaux permettent de transmettre des messages plus rapidement, et à un bien plus grand nombre de personnes. Selon l’ABA, les juges devraient présumer que toute publication sur un réseau social ne sera pas vu uniquement par ses propres « amis », mais sera partagée avec d’autres gens. [p.1 Opinion Formelle 462]
L’ABA précise également que les juges devraient éviter de former des relations et de prendre part à des conversations sur les réseaux sociaux puisque cela pourrait ne pas être approprié et pourrait entraîner une apparence de partialité. [p.2 Opinion Formelle 462]
Les juges doivent aussi déclarer toute relation qu’ils ont entretenu sur les réseaux sociaux, s’il s’agit d’une relation qui pourrait faire croire à la partialité du juge :
« When a judge knows that a party, a witness, or a lawyer appearing before the judge has an ESM connection with the judge, the judge must be mindful that such connection may give rise to the level of social relationship or the perception of a relationship that requires disclosure or recusal » [p.3 Opinion Formelle 462]
Il ressort donc de ces recommandations qu’il est permit à un juge d’utiliser les réseaux sociaux, mais que cette utilisation doit être effectuée d’une manière appropriée et respectueuse du code de conduite.
Il est important de préciser que le juge n’est pas le seul à devoir faire attention à ses activités en ligne. Les avocats peuvent également être exposés à des risques éthiques, et doivent donc utiliser les réseaux sociaux avec diligence, particulièrement lorsqu’il s’agit d’entreprendre des conversations avec un juge.