Les objets connectés semblent être la nouvelle panacée du monde des affaires et pour cause : ils offrent l’opportunité incroyable de collecter, de façon automatisée, un nombre impressionnant d’informations sur les clients. Les assureurs automobiles, grâce à la télématique, pourront eux aussi bénéficier de cette technologie. Depuis quelques années, la télématique est offerte par quelques assureurs privés sous forme de programmes « payez comme vous conduisez ». Pour ce faire, l’assureur installe une puce électronique à l’intérieur du véhicule de l’assuré. Ce dispositif, similaire à un GPS, va ensuite collecter et retransmettre à l’assureur, une foule d’informations: les kilomètres parcourus, les excès de vitesse, les freinages brusques, l’angle des courbes, les heures de sorties. Ainsi, l’assureur va être en mesure d’établir un portrait de l’assuré, synchronisé sur la réalité et lui offrir un rabais si de bons comportements routiers sont observés.
Jusqu’ici, la télématique n’était utilisée qu’au privé, mais Radio-Canada, dans un reportage diffusé le 2 février dernier, nous apprenait que la Société de l’assurance automobile du Québec (ci-après SAAQ) veut elle aussi se lancer dans l’aventure afin d’améliorer le bilan routier de la province. À cet effet, la société d’État lancera, en 2016, un projet pilote volontaire.
Qui dit objets connectés dit Big Brother
Avant d’adhérer à un tel programme, public ou privé, l’automobiliste doit être au fait des enjeux liés à l’installation d’un tel dispositif sous son tableau de bord. Ainsi, il pourra juger de son degré d’ouverture face à la surveillance de sa vie privée.
1. L’enjeu du droit à la vie privée
L’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec énonce que « toute personne a droit au respect de sa vie privée ». De plus, l’article 36.4 du Code civil du Québec dit que « surveiller la vie privée par quelque moyen que ce soit » peut constituer une atteinte à la vie privée. Or, les assureurs sont forcés d’admettre qu’ils en sauront beaucoup plus sur les assurés. D’ailleurs, dans une entrevue accordée au journal Toronto Star le 9 mars dernier, George Cooke (ancien CEO de la Compagnie d’assurance générale Dominion du Canada et maintenant consultant pour une firme ontarienne de télématique) affirmait que « les facteurs de risques pouvant être mesurés sont pratiquement illimités ! » Cet enthousiasme est révélateur quant au potentiel mercantile des données collectées. Les automobilistes enclins à la télématique devront alors consentir à partager une tonne de données comportementales.
2. L’enjeu lié à l’identification par les renseignements personnels
Les assurés qui optent pour la télématique doivent également savoir qu’à prime abord, les données comportementales ne sont pas considérés comme étant des renseignements personnels. À cet effet, les assureurs privés sont soumis à l’article 2 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (ci-après LPRPDE) qui stipule qu’un renseignement personnel doit permettre d’identifier un individu. Une information de type comportementale ne peut vraisemblablement pas permettre l’indentification, du moins, si elle est prise isolément.
Cependant, sur le plan de la notion d’identification par combinaison d’informations, la jurisprudence nous donne matière à réflexion. En effet, le cas Gordon c. Canada (Santé), 2008 CF 258, est probant à cet égard et précise, au paragraphe 33, que la vie privée peut être compromise par l’identification découlant de la combinaison de renseignements de prime abord classés comme non personnels.
Notamment, le Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (ci-après RCCAQ) prend position et affirme que ces données devraient « être traitées et manipulées comme des renseignements personnels ».
Le Commissariat à la vie privée (ci-après Commissariat) abonde dans le même sens et affichait ses couleurs lors de la National Access and Privacy Conference en faisant ce plaidoyer : « quelle quantité de précieux renseignements, nos renseignements, est communiquée aux fournisseurs de télématique, aux compagnies d’assurance ou à des fournisseurs tiers et peut être obtenue par tous ceux qui peuvent l’intercepter?» Malgré sa réputation de chien de garde de la vie privée des Canadiens, le Commissariat devra travailler fort pour faire reconnaître que la télématique recueille des données personnelles, car les assureurs pourront toujours arguer que les données recueillies sont assimilées à un véhicule, sur une base d’une utilisation personnelle et/ou collective.
3. L’enjeu du consentement en fonction de la finalité
Les fins auxquelles seront utilisées les données collectées doivent également être clairement démontrées, avant la signature du contrat. À cet égard, ce n’est pas les mêmes lois qui s’appliquent pour le secteur privé que pour le secteur public.
La SAAQ, comme organisme public est soumis à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels dont l’article 65.1 stipule qu’un renseignement personnel ne peut être utilisé au sein d’un organisme public qu’aux fins pour lesquelles il a été recueilli. Mais récemment, dans une entrevue au journal Le Soleil, la porte-parole de la Commission d’accès à l’information, Isabelle Saint-Pierre, exprimait ses inquiétudes face au projet de la SAAQ en amenant la possibilité que les informations recueillies puissent être partagées avec d’autres instances gouvernementales. Cela reste hypothétique, mais les automobilistes intéressés par le projet pilote devront vérifier la portée de leur consentement.
Les compagnies privées, elles, doivent se conformer à l’article 4.2.3 de la LPRPDE qui dit que les renseignements personnels ne peuvent être utilisés que pour les fins pour lesquelles le consentement a été donné. Pour se protéger contre d’éventuelles poursuites pour atteinte à la vie privée, les assureurs doivent donc fournir un contrat transparent quant à la finalité de la collecte. Dans cette optique, on peut dire que les termes et conditions du programme de télématique Ma conduite d’Intact Assurance, laisse entrevoir une utilisation qui dépasse la constitution d’un simple dossier de conduite : « Vos renseignements personnels seront seulement utilisés et communiqués conformément au programme Ma conduite, à moins que nous ne soyons légalement tenus de le faire (p. ex., assignation à comparaître, enquête policière, etc.) ».
À ce titre, Vincent Gaudreau, président du RCCAQ, s’inquiète et va même jusqu’à poser pose la question suivante «Est-ce qu’un conducteur pourrait se faire reprocher un excès de vitesse avant un accident ou voir son témoignage remis en question sur la base de données GPS ? ».
Donc, avant de signer leur contrat, les automobilistes intéressés par la télématique devront s’attarder aux petits caractères concernant la collecte des données et l’utilisation des renseignements recueillis, car leur vie privée pourrait bel et bien être menacée. Un assuré averti en vaut deux !