Dans le complexe cadre réglementaire de l’environnement numérique, l’Agence Espagnole de Supervision de l’Intelligence Artificielle (ci-après AESIA) a vu le jour le mois dernier. Cette agence a été créée par le Décret Royal 729/2023 du 22 août et son statut a été publié le 2 septembre au Journal officiel de l’État, ce qui en fait la première agence de ce type dans l’Union européenne (ci-après UE).
Basée dans la ville de A Coruña, en Espagne, l’AESIA, selon son statut
« jouera un rôle clé dans la gestion et la direction de l’écosystème espagnol de l’intelligence artificielle responsable grâce à la supervision sur une base volontaire jusqu’à l’entrée en vigueur de la réglementation européenne sur l’intelligence artificielle par des étiquettes de qualité et de la responsabilité en matière d’intelligence artificielle, des relations avec l’écosystème européen qui favoriseront le développement du Pacte pour l’Intelligence Artificielle et un Code de Bonnes Pratiques pour l’Intelligence Artificielle Générative, produits au sein du Conseil du Commerce et de la Technologie États-Unis-UE, ainsi que la création d’environnements d’essai réglementés permettant de lancer de manière responsable les innovateurs et les développeurs de systèmes d’intelligence artificielle à haut risque ou d’usage général ».
La nature juridique de l’AESIA est celle d’une entité de droit public rattachée au ministère de l’Économie et de la Transformation Numérique, par l’intermédiaire du Secrétaire d’État espagnol à la Numérisation et à l’Intelligence Artificielle. L’AESIA dispose d’une personnalité juridique publique, d’un patrimoine propre et d’une autonomie de gestion (articles 1 et 2 de son statut). Le dernier alinéa de l’article 3 prévoit que
« dans l’exercice de ses pouvoirs, elle devrait être soumise aux dispositions de la législation européenne sur la surveillance des systèmes d’intelligence artificielle. L’AESIA exercera des missions de contrôle, de conseil, de sensibilisation et de formation auprès des acteurs de droit public et privé pour la mise en œuvre de l’ensemble des réglementations nationales et européennes relatives au bon usage et au développement des systèmes d’intelligence artificielle, et plus particulièrement des algorithmes. »
« La supervision de la mise en œuvre, de l’utilisation ou de la commercialisation de systèmes qui incluent l’intelligence artificielle et, en particulier, ceux qui peuvent présenter des risques significatifs pour la santé, la sécurité, l’égalité de traitement et la non-discrimination » (article 3 e).
« Promouvoir des environnements d’essai qui permettent d’adapter correctement les systèmes d’intelligence artificielle innovants aux cadres juridiques existants » (article 10, alinéa 1.a).
« Soutenir le renforcement de la confiance dans la technologie et les applications de l’intelligence artificielle, par la création d’un cadre de certification volontaire pour les entités privées, afin de fournir des garanties sur la conception responsable des solutions numériques et d’assurer des normes techniques, en évitant la surrèglementation et pour favorise l’innovation » (article 10, alinéa 1.e)
Contexte juridique de l’AESIA
La pandémie de Covid-19 a marqué un tournant décisif dans l’écosystème numérique mondial. En raison de ses profondes répercussions sociales et économiques, l’UE a élaboré un plan visant à dynamiser l’économie. Ce document, intitulé NextGenerationEU, est un instrument temporaire (2021-2027) de relance de plus de 800 milliards d’euros destiné à aider à réparer les dommages économiques et sociaux immédiats causés par la pandémie due au coronavirus. Ainsi, la première rubrique du document est destinée à au “marché unique, innovation et numérique” avec 11,5 milliards d’euros additionnels au budget régulier.
En raison du NextGenerationEU, l’Espagne a publié le 16 juin 2021 le Plan de Récupération, de Transformation et de Résilience dont l’axe VI mentionne la Stratégie Nationale d’Intelligence Artificielle (SNIA) qui a été publiée le 1er décembre 2020.
Simultanément, la Loi de l’Intelligence Artificielle de l’UE est un document clé pour la création de l’AESIA, elle a été proposée en avril 2021 et le 14 juin 2023 le Parlement européen a adopté sa position de négociation, elle prévoit dans le numéral 5.2.6. Gouvernance et Mise en œuvre que :
« Au niveau national, les États membres devront désigner une ou plusieurs autorités nationales compétentes et, parmi elles, l’autorité de contrôle nationale chargée de contrôler l’application et la mise en œuvre du règlement. Le Contrôleur européen de la protection des données agira en tant qu’autorité compétente pour la surveillance des institutions, agences et organes de l’Union lorsqu’ils relèvent du champ d’application du présent règlement. »
Pour répondre à cette loi, deux lois internes ont été créées en Espagne : les lois 22/2021 et 28/2022 dans lesquelles l’AESIA trouve son fondement.
Fondements juridiques de l’AESIA
LES DÉFIS D’AESIA
Outre le court délai mentionné dans ses propres statuts pour être opérationnelle (3 décembre 2023), l’AESIA est confrontée à plusieurs défis aux niveaux national, européen et mondial :
- La duplication des fonctions avec d’autres agences au niveau national. La possibilité de dupliquer les activités avec d’autres agences et organisations déjà existantes en Espagne, telles que l’AESIA, constitue l’une des plus grandes préoccupations surtout si l’on tient compte que la tendance dans l’UE est à l’absorption des fonctions liées à l’IA par les autorités chargées de la protection de la vie privée et des données à caractère personnel elles-mêmes.
- Coordination entre les agences. Un autre défi majeur est de parvenir à une coordination efficace entre les différentes agences européennes afin d’obtenir une certaine uniformité dans leurs décisions.
- Réglementer sans affecter l’innovation. D’autre part, la question de la technologie pose des défis mondiaux qui se sont intensifiés avec le développement rapide de l’IA, la question est : comment réglementer sans affecter l’innovation et le développement, même si beaucoup de ces réglementations seront au niveau de l’UE, il est vrai que la nouvelle AESIA devra interpréter et harmoniser tout cela en Espagne et la bureaucratie avance régulièrement plus lentement que le développement privé et ça peut représenter un obstacle à cela.
Le développement juridique, récent mais prolifique, sur l’IA que l’on observe notamment en Europe et qui présente déjà de grandes complications inhérentes au sujet, ouvre la porte à la multiplication des agences nationales et des réglementations locales qui pourraient avoir un effet de saturation organique et réglementaire sur un matière difficile à comprendre et dont le développement est inéluctable. Le temps nous le dira.
Note : les documents officiels consultés en espagnol ont été traduits par l’auteur et ne constituent pas une version officielle en français.
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