(ce texte est une version modifiée d’un article à paraitre en 2019)
1 – Bloguer : une nouvelle forme de communication
1A – Nouvelle écriture
1B – Nouvelle forme d’écriture
2 – Bloguer : un nouveau contexte de communication
2A – Blogue de professeurs
2B – Blogue d’étudiants-chercheurs
[1] « Jeu » et « je ». Notre premier blogue date du 13 mars 2006 et n’est plus accessible[1]. Il a été lancé comme une gageure, histoire de témoigner sur cette nouvelle forme, ludique, publique, d’écriture. Puis avec le temps, il y a eu une manie, associée à un certain plaisir, un plaisir certain même[2], de commenter une actualité tant sociale, législative que judiciaire, et ce, sans le concours de personne. S’il y a une spécificité au blogue, que nous ne définirons pas, c’est celle-ci : une publication sans intermédiaire[3]. Il y a donc dans un blogue une vision très personnelle qui n’est souvent pas de mise dans des textes savants que l’on souhaite généralement plus neutres. Derrière ces blogues, il y a donc une certaine déraison autour de cette initiative qui se voulait au départ une expérience à vouloir commenter souvent à chaud ce que le droit du numérique, notre champ de spécialité, suscitait en réaction. Et puis, « avec le temps, tout s’en va », les billets s’espacèrent, des quelques billets par mois, c’est désormais davantage quelques uns par an qui agrémentent notre site.
[1] Il peut néanmoins être retrouvé en utilisant le site www.archive.org qui permet de réveler l’apparence de sites anciens ; en l’occurrence, www.gautrais.com.
[2] Eugene VOLOKH, « Scholarship, Blogging, and Tradeoffs: On Discovering, Disseminating, and Doing », (2006) 84-5 Washington University Law Review 1089, 1100 : « we blog because we enjoy it. (…) And we blog because of the possibility, however rarely realized, that we might actually persuade someone. ».
[3] Lawrence B. SOLUM, « Blogging and the Transformation of Scholarship », (2006) 84-5 Washington University Law Review 1071.
[2] Croyance. Ceci dit, malgré cette pratique moins soutenue, et une activité au Québec encore très parcellaire, tant en droit[4] que dans d’autres disciplines[5], nous restons persuadé que bloguer présente une forme de communication qui remplit les fonctions habituelles que l’on cherche à valoriser dans les sociétés pensantes que constituent les universités. En effet, par le blogue, son auteur est en mesure de collecter, critiquer, produire et disséminer de la connaissance scientifique[6]. Des fonctions que l’on valorise pourtant mais dans un cadre très classique, plus normé, plus structuré. Il y a donc dans la brièveté imposée du présent article un certain prosélytisme basé sur une croyance que les blogues peuvent servir tant les intérêts des professeurs, des universités, des étudiants et de la société. Une croyance qui est d’ailleurs souvent partagée, la plupart des références citées étant sauf exceptions, eux-mêmes blogueurs, trahissant ainsi un biais[7]. Un propos qui se désole donc quel que peu quant à « ce retard à l’allumage »[8] vis-à-vis des blogues qui demeurent encore, dans la société scientifique québécoise, bien marginaux.
[4] Il y aurait une soixantaine de blogues juridiques au Québec. Édith GUILHERMONT, « La contribution des blogues juridiques à la connaissance, à la critique et aux transformations du droit », (2016) 62-1 McGill Law Journal 157, 163.
[5] Jeremy B. WILLIAMS et Joanne JACOBS, « Exploring the use of blogs as learning spaces in the higher education sector », (2004) 20 (2) Australasian Journal of Educational Technology 232-247; Angelique DAVI, Mark FRYDENBERG et Girish J. GULATI, « Blogging across the disciplines: Integrating technology to enhance liberal learning », (2007) 3 (3) MERLOT Journal of Online Learning and Teaching 222-233; Nicole ELLISON, et Yuehua WU, « Blogging in the Classroom: A Preliminary Exploration of Student Attitudes and Impact on Comprehension », (2008) 17 (1) Journal of Educational Multimedia and Hypermedia 99-122; Lara C. DUCATE et Lara L. LOMICKA, « Adventures in the blogosphere: From blog readers to blog writers », (2008) 21 (1) Computer Assisted Language Learning 9-28 ; Ari KOHEN, « Tumbling political Theory », (2014) Politics http://digitalcommons.unl.edu/poliscifacpub/57.
[6] Ces quatre fonctions proviennent de Harry W. ARTHURS, « The future of Law School : Three Visions and a Prediction », (2014) 51-4 Alberta Law Review 705, à la page 710 : « Law schools are knowledge communities: they exist to collect, critique, produce, and disseminate knowledge. »
[7] Orin S. KERR, « Blogs and the Legal Academy » (2006) 84-5 Washington University Law Review 1127 est l’un des rares qui considère que bloguer n’est pas très efficace pour rehausser sa propre doctrine. En revanche, cela permet de mieux disséminer ses contenus et influencer la vie sociale. Ceci dit, un des gros défauts qu’il associe aux blogue c’est la question technique de la « tyrannie » du RCO (Reverse Chronological Order) (p. 1130). Avec égard, et plus de dix ans plus tard, il est désormais possible de mettre en exergue un billet en particulier.
[8] Anne-Sophie CHAMBOST, « Avant-propos », dans Anne-Sophie CHAMBOST (dir.), Les blogs juridiques et la dématérialisation de la doctrine, Issy-les- Moulineaux, L.G.D.J., 2015, p. 5, à la page 9.
[3] Plan. Face à cette création spontanée, les quelques lignes de cet article vont tenter de rationaliser une forme d’écriture qui présente son lot d’avantages et d’inconvénients. En effet, les blogues présentent une certaine rupture tant avec la forme d’écriture qu’il autorise que relativement au contexte de communication avec des auditoires multiples et des fonctions renouvelées.
1 – Bloguer : une nouvelle forme de communication
[4] Doctrine nouveau genre ? La doctrine est associée à un certain conservatisme, surtout en droit, particulièrement en droit civil, où elle bénéficie d’un statut élevé dans la hiérarchie des sources et à une ouverture modérée tant aux praticiens qu’aux étudiants[9]. Relativement à ces derniers, il y a un nombre important d’études qui montrent l’importance de l’apprentissage par l’écriture ; doctrine et enseignement sont donc intimement liés[10]. Au regard des fonctions qui sont généralement associées à la doctrine, elles sont assez unanimement identifiées : expliquer, critiquer, examiner l’évolution du droit, suggérer et justifier le contexte social et juridique[11]. Face à ce rôle, la première question est de se demander pourquoi des blogues ne pourraient pas remplir cet office[12] ? La seconde consiste à s’interroger au pourquoi des blogues ne pourraient pas être écrits par des étudiants ?[13]
[9] Voir les références citées à ce sujet dans Guillaume LAGANIÈRE, « Beyond the Textbook : Assessing the Value of Scholarship in Undergraduate Legal Education », (2017) 48-2 Revue de droit d’Ottawa 391, 401, note 43.
[10] Guillaume LAGANIÈRE, « Beyond the Textbook : Assessing the Value of Scholarship in Undergraduate Legal Education », (2017) 48-2 Revue de droit d’Ottawa 391, 405 : « If we accept that the future of research is inextricably linked to that of legal education generally and that encour- aging good scholarship prepares students for their professional careers, then we must start by paying greater attention to the connections between scholarship and pedagogy. »
[11] Roderick A MACDONALD, « Understanding Civil Law Scholarship in Quebec », (1985) 23-4 Osgoode Hall Law Journal 579, 589 : « [L]a doctrine, one such literary source, performs five main functions. It has a puzzle-solving or explicative function. It also provides a critical perspective on legal postulates in order to discern their fundamental premises. Further, la doctrine examines the evolution of both legal norms and their social functions, suggesting new formulations and unprecedented applications of existing rules. Again, it elaborates the logical and ideological structure of a given area of the law. Finally, it integrates various sources of legal justification into their political and social context. »
[12] Nous le verrons, les blogues présentent à bien des égards plusieurs – voire toutes – de ces fonctions, ceux-ci se proposant souvent à la critique, à la suggestion.
[13] Infra, Partie 2B.
1A – Nouvelle écriture
[5] Nouveau ? Il est commun de mentionner que bloguer constitue une forme nouvelle de communication. Certes. Ceci dit, cette nouveauté ne l’est peut-être plus tout à fait, l’étude du phénomène étant particulièrement présente dans le milieu des années 2000[14] et moindrement dans celui des années 2010[15]. De certains de considérer que bloguer, c’est passager[16]. Ceci dit, au-delà de la composante technologique qui participe à la définition du blogue, il y a bien davantage une évolution marquée vis-à-vis de deux composantes essentielles de l’écriture. D’une part, le temps est bouleversé, impactant tant sur sa forme que son contenu. D’autre part, l’espace est tout aussi modifié, les audiences du blogueur s’élargissant, tant d’un point de vue géographique que social.
[14] Peter BLACK, « Uses of Blogs in Legal Education », (2006) 13 James Cook University Law Review 8 ; Ellen S. PODGOR, « Blogs and the Promotion and Tenure Letter » (2006) 84-5 Washington University Law Review 1109 ; Eugene VOLOKH, « Scholarship, Blogging, and Tradeoffs: On Discovering, Disseminating, and Doing », (2006) 84-5 Washington University Law Review 1089 ; Orin S KERR, « Blogs and the Legal Academy » (2006) 84-5 Washington University Law Review 1127 ; Paul L. CARON, « Bloggership : How Blogs are Transforming Legal Scholarship. Are Scholars Better Bloggers ? », (2006) 84-5 Washington University Law Review 1025 ; Lawrence B. SOLUM, « Blogging and the Transformation of Scholarship », (2006) 84-5 Washington University Law Review 1071.
[15] Anne-Sophie CHAMBOST (dir.), Les blogs juridiques et la dématérialisation de la doctrine, Issy-les-Moulineaux, L.G.D.J., 2015 ; Jennifer M. ROMIG, « Legal Blogging and the Rhetorical Genre of Public Legal Writing », (2015) 12 Legal Communication & Rhetoric 29 ;
[16] Jacques NANTEL, « Préface », dans Claude LAMAISON (dir.), Pourquoi bloguer dans un contexte d’affaires ?, Montréal, IQ Collectif, p. 1 : « le blogue est-il une mode passagère, une sorte d’épiphénomène? La réponse à cette question est simple, c’est oui. »
[6] Rapport au temps. Le premier changement qu’il importe de considérer est que l’écriture d’un blogue s’opère dans un rapport au temps distinct de l’écriture papier. Souvent associé à des éléments d’actualité, parfois même à une urgence, en découle une forme et un fond différent de ce qui se fait ailleurs. Sur le plan de forme, il y a en effet une adaptation qui est même nécessaire ; nous y reviendrons[17]. Quant au fond, l’écriture est souvent plus critique, plus confrontante, sans quête d’exhaustivité ; plus intuitive[18].
[17] Infra, Partie 1, B.
[18] Gilles J. GUGLIELMI et Geneviève KOUBI, « Épistémologie des blogs juridiques : une contribution à l’écriture du droit », dans Anne-Sophie CHAMBOST (dir.), Les blogs juridiques et la dématérialisation de la doctrine, Issy-les- Moulineaux, L.G.D.J., 2015, p. 69, à la page 82 : « Ce que recherche l’auteur du blog n’est pas à exposer le problème, mais à en livrer une vision critique travaillée à partir de traits saillants soigneusement sélectionnés. La description se trouve bannie et, de ce fait, l’exhaustivité aussi. En contrepartie, les phrases sont plus courtes et le propos plus direct, faisant renaître la forme classique de la disputatio juridique. »
[7] Rapport à l’espace. Le rapport à l’espace est tout aussi chamboulé. Géographique d’abord, la frontière devient linguistique et non plus culturelle, et ce, même si de plus en plus le bi-ou-trilinguisme devient la norme. Les blogues se citent donc souvent, hypertextualité oblige, avec des références moindrement associées au pays, au système culturel ou juridique[19]. Ensuite, les blogues disposent souvent de différents niveaux de lecture. Ainsi, si les blogues réfèrent souvent à de la « vraie » doctrine, forcément « technique », ils proposent aussi un niveau plus accessible ouvert au plus grand nombre. La « tour d’ivoire » scientifique[20] se dissipe quelque peu pour privilégier une plus grande ouverture. En fait, le numérique propose son propre système ; moins hiérarchique, plus interconnecté. Cette interconnexion est d’ailleurs un des éléments de sa structure. Plus le blogueur sera lu et plus sa reconnaissance sera grande. La communauté des blogues est inclusive – y rentre qui veut – et ce milieu (la blogosphère) [21] se nourrit des apports de chacun[22].
[19] Il est étonnant, et un tantinet agaçant, de voir combien la doctrine traditionnelle française ne cite que des revues française.
[20] Paul DALY, «Legal Academia 2.0: New and Old Models of Academic Engagement and Influence», (2015) 20-1, Lex Electronica 39, à la page 46. En ligne : http://www.lex-electronica.org/s/1057.
[21] Roseline LETTERON, « Les blogs et la dématérialisation de la doctrine juridique », dans Anne-Sophie CHAMBOST (dir.), Les blogs juridiques et la dématérialisation de la doctrine, Issy-les- Moulineaux, L.G.D.J., 2015, p. 85.
[22] Kate GALLOWAY, Kristoffer GREAVES et Melissa CASTAN, « Interconnectedness, Multiplexity and the Global Student: The Role of Blogging and Micro Blogging in Opening Students’ Horizons », (2012) 5 Journal of the Australasian Law Teachers Association 1, 6.
1B – Nouvelle forme d’écriture
[8] Six caractéristiques. Nous le verrons plus tard, dans notre quotidien, les blogues représentent désormais un outil de communication plus utilisés par les étudiants que par nous-même. Aussi, il nous est apparu très vite nécessaire de « bloguer sur les blogues » et sur la forme que ceux-ci doivent suivre[23]. Aussi, nous avions alors identifiés minimalement six caractéristiques à valoriser.
[23] Vincent GAUTRAIS, « Un bon billet de blogue juridique c’est … », (2013) Droitdu.net http://droitdu.net/2013/05/un-bon-blogue-juridique-cest/.
[9] Écrire « écran ». Sans prétention d’exhaustivité, et d’importance diverses, il y a d’abord dans cette écriture une nouvelle esthétique. La part des images n’est souvent pas négligeable et il importe d’écrire « web », ces documents n’étant pas prévus pour être imprimés. Aussi, et comme le martelait Jakob Nielsen dès les débuts du web, il faut adapter sa forme d’écriture à une lecture qui ne s’opère pas identiquement au papier[24]. Il faut écrire court sans hésiter à utiliser des images, des couleurs, des caractères distincts. Au même titre que le rythme d’écriture est différent, celui de lecture l’est tout autant et il doit être intégré dans l’apparence du blogue.
[24] Jakob NIELSEN, « Be Succint ! (Writing for the Web) », (1997) https://www.nngroup.com/articles/be-succinct-writing-for-the-web/.
[10] Écrire authentique. Non sans lien, une deuxième considération à prendre en compte est l’authenticité qui s’y attache[25]. Tant pour les sujets choisis[26] que sur la forme utilisée, une grande liberté est souvent nécessaire à la réussite d’un blogue. Une liberté qui traduit une personnalisation qui est souvent plus évidente que dans la doctrine classique. Il est donc courant de déceler dans les blogues des opinions des auteurs qui critiquent un point avec une véhémence sans doute plus assumée que dans la doctrine classique. Ceci dit, l’opinion n’est pas opposée à l’analyse et elle manifeste un certain courage, un certain intérêt, susceptibles de fidéliser le lecteur[27].
[25] Michelle BLANC, « Le blogue d’entreprise, outil de promotion de l’authenticité », (2008) https://www.michelleblanc.com/2008/10/15/blogue-dentreprise-outil-promotion-authenticite/.
[26] Édith GUILHERMONT, « La contribution des blogues juridiques à la connaissance, à la critique et aux transformations du droit », (2016) 62-1 McGill Law Journal 157, 177.
[27] Édith GUILHERMONT, « La contribution des blogues juridiques à la connaissance, à la critique et aux transformations du droit », (2016) 62-1 McGill Law Journal 157, 188.
[11] Écrire hyperliens. En troisième lieu, le blogue a pour caractéristique essentielle d’être une écriture hypertextuelle. Sans que ce soit une condition sine qua non à la définition du billet de blogue, cette qualité nous semble incontournable permettant un accès aux sources. Bloguer c’est donc lier ; c’est offrir la possibilité pour le lecteur de s’approprier le contenu qui est l’objet du commentaire. Il faut donc compenser la brièveté presque nécessaire du propos par une proximité à la source. Bien avant la révolution du web 1.0, 2.0 ou plus, la révolution tient de l’hyperlien.
[12] Écrire aujourd’hui. En quatrième lieu, et c’est une conséquence de l’auto-publication, le blogue implique généralement le commentaire d’éléments d’actualité. Cette condition est presque une exigence pour assurer une visibilité au billet qui sans cela risque de passer inaperçu, noyé dans l’océan d’informations en ligne. Une veille est donc requise ; veille qui est de toutes les manières souvent de mise pour plusieurs universitaires et étudiants-chercheurs.
[13] Écrire « scientifique ». En cinquième lieu, Aussi, et au-delà de cette révolution communicationnelle précédemment décrite, il y a un conservatisme inhérent au domaine scientifique auquel nous ne pouvons nous soustraire. Si l’on prend notre domaine d’études, le droit, il est par nature est une science de la réaction, un regard dans le rétroviseur dans la mesure où l’interprète doit toujours se baser sur l’avant, sur le passé. Aussi, un bon billet doit impérativement référer aux sources primaires du droit et lier l’élément d’actualité avec une doctrine, une loi ou règlement, une décision de justice évidemment, voire une norme informelle (usages). Il doit donc faire des liens non pas dans le sens technique vu précédemment mais avec la culture juridique propre à chacun.
[14] Écrire pour les autres. Enfin, bloguer c’est aussi écrire pour les autres ; très souvent, avec cette actualité qui a ses atouts mais aussi quelques travers « chronophages », le billet est aussi un moyen d’offrir à la communauté les tenants et aboutissants d’une nouvelle décision, d’une nouvelle loi, d’un nouveau livre ou article. Il importe de « mâcher » l’essence du document commenté et de faire ressortir ses éléments clé. Aussi, afin de densifier cette relation avec le lecteur, la communauté[28], il peut être intéressant de saisir certains extraits ou paragraphes et de les citer, avec les parenthèses d’usage, effectuant ainsi un tri éditorial.
[28] Jennifer M. ROMIG, « Legal Blogging and the Rhetorical Genre of Public Legal Writing », (2015) 12 Legal Communication & Rhetoric 29, 56.
2 – Bloguer : un nouveau contexte de communication
[15] Je blogue ou tu blogues ? Il y a deux formes de blogues : celui des professeurs et celui des étudiants chercheurs[29]. En dépit de tous ces avantages et cette tendresse pour l’exercice, je ne saurais être totalement optimiste vis-à-vis du premier[30]. En fait, ce futur, nous l’ignorons. Plus exactement, si les blogues de professeurs sont sujets à questionnements, il est tout à fait envisageable de les muter en blogues d’étudiants-chercheurs, sous la supervision de professeur. S’il devait y avoir une prévision sur laquelle nous pourrions nous commettre, c’est celle-ci. Bloguer, c’est aussi – surtout – faire bloguer les autres.
[29] Ari KOHEN, « Tumbling political Theory », (2014) Politics http://digitalcommons.unl.edu/poliscifacpub/57 : « To this point, the majority of classroom blogging seems to take one of two forms: a blog run by the professor (…), or a class blog to which all students contribute ».
[30] Orin S. KERR, « Blogs and the Legal Academy » (2006) 84-5 Washington University Law Review 1127. Dans sa conclusion, il mentionne : « The lesson, I think, is that technology is a moving target. This makes predictions tricky; Blogs are new, and it’s too early to tell what their impact on the legal academy might be. »
2A – Blogue de professeurs
[16] Inconvénients. Commençons par les travers qu’il est possible de lister concernant les blogues de professeurs. En premier lieu, il faut bien reconnaître qu’une défiance prévaut en bien des cas envers ces écrits auto-proclamés ; au mieux une indifférence[31]. Celle-ci est particulièrement sensible au Québec ; bien davantage que dans les juridictions de common law où le rapport à la doctrine est différent[32]. Il est vrai que ce regard chagrin vis-à-vis des blogues est peut-être exacerbé dans le domaine juridique, conservateur par essence, et se fait moins sentir dans d’autres disciplines[33]. En deuxième lieu, et c’est sans doute la raison première de l’arrêt d’activité des blogueurs juridiques, il faut tout aussi reconnaître une relative chronophagie de l’activité ; davantage, une disponibilité à toute épreuve, bloguer impliquant généralement une réaction soudaine à une nouvelle. Le retour sur investissement est un questionnement qui taraude trop souvent l’apprenti blogueur. En troisième lieu, il y a le nombre « où la nécessité de faire un tri dans une masse d’informations dans laquelle la quantité conspire contre la qualité » [34]. Écrire sur le web amène à considérer l’immensité des références que l’on peut y trouver, avec une difficulté de distinguer le bon grain de l’ivraie. Ceci dit, cet office de mise en valeur s’opère assez naturellement, fort de la puissance de recherche et d’exposition du web[35]. Les billets circulent
« sous une forme de méritocratrie du débat d’idées, dans lequel le statut de l’auteur importe moins que sa capacité à démontrer la valeur d’arguments »[36].
Enfin, et nous finirons avec cet inconvénient car il devrait ne pas être considéré comme tel : le fait de bloguer remet en cause les catégories habituelles d’évaluation des professeurs. En effet, la promotion est souvent basée sur quatre grandes catégories d’actions : l’enseignement, la recherche, la visibilité et l’apport à l’institution[37]. Or, les universités évaluent différemment les blogues, ne sachant pas toujours dans laquelle les considérer. Comme dans bien d’autres domaines, le numérique remet en cause les frontières ; et un billet peut aisément rentrer dans chacune des catégories précitées. En effet, il participe clairement à l’enseignement, les billets constituant des aires de contact avec les étudiants entre chacun des cours, ces derniers étant analysés et débattus dans le cours suivant. La recherche est tout aussi impliquée, l’acte d’écriture spontané étant souvent associé au fait de tester des analyses, de confronter des points de vue ; certains y voient même un possible renouvellement de sa recherche[38]. Le rayonnement s’impose de lui même[39]. Et finalement, l’université ne peut que bénéficier de ce positionnement, surtout à une ère où l’Université identifie, outre l’enseignement et la recherche, « l’apport à la société » comme une fonction qu’elle se doit de valoriser[40]. Finalement, si le risque pour un jeune professeur en quête de promotion existe, certains considèrent que les avantages dépassent les inconvénients[41].
[31] Édith GUILHERMONT, « La contribution des blogues juridiques à la connaissance, à la critique et aux transformations du droit », (2016) 62-1 McGill Law Journal 157, 160.
[32] Guillaume LAGANIÈRE, « Beyond the Textbook : Assessing the Value of Scholarship in Undergraduate Legal Education », (2017) 48-2 Revue de droit d’Ottawa 391, 401.
[33] Voir par exemple David MCKENZIE et Berk ÖZLER, « The Impact of Economics Blogs », (2011) World Bank Working Paper 5783, https://elibrary.worldbank.org/doi/pdf/10.1596/1813-9450-5783, où la dissémination est grandement valorisée par ce mode de communication.
[34] Anne-Sophie CHAMBOST, « Avant-propos », dans Anne-Sophie CHAMBOST (dir.), Les blogs juridiques et la dématérialisation de la doctrine, Issy-les- Moulineaux, L.G.D.J., 2015, p. 5, à la page 13.
[35] Comme nous l’avons dit plus tôt (note 6), la « tyrannie du RCO » (Reverse Chronological Order) dénoncée par Orin Kerr nous semble pouvoir être compensée par une recherche de l’information numérique d’une grande efficacité. Orin S. KERR, « Blogs and the Legal Academy » (2006) 84-5 Washington University Law Review 1127, 1130.
[36] Anne-Sophie CHAMBOST, « Avant-propos », dans Anne-Sophie CHAMBOST (dir.), Les blogs juridiques et la dématérialisation de la doctrine, Issy-les- Moulineaux, L.G.D.J., 2015, p. 5, à la page 12.
[37] On peut notamment penser à la plupart des conventions collectives des professeurs qui presque systématiquement reprennent ces quatre critères d’évaluation.
[38] Hervé CROZE, « Écrire le droit sur Internet : le glas du plan en deux parties ? », dans Anne-Sophie CHAMBOST (dir.), Les blogs juridiques et la dématérialisation de la doctrine, Issy-les- Moulineaux, L.G.D.J., 2015, p. 53.
[39] Édith GUILHERMONT, « La contribution des blogues juridiques à la connaissance, à la critique et aux transformations du droit », (2016) 62-1 McGill Law Journal 157, 193.
[40] A titre d’exemple, on peut notamment penser à la nouvelle charte de l’Université de Montréal qui vient d’intégrer cette fonction à son article 3 : « L’université a pour objet l’enseignement supérieur, la recherche et la création et les services à la communauté ».
[41] Christine HURT et Tung YIN, « Blogging While Untenured and Other Extreme Sports », (2006) 84-5 Washington University Law Review 1235, 1247-48.
[17] Avantages. Là encore, il sera difficile de citer tous les atouts que les blogues autorisent. Parmi ceux qu’il nous semble possible de mentionner, il y a en premier lieu, bien évidemment une efficacité sans pareille en terme de dissémination du savoir[42], et ce, même si le fait français change vraisemblablement la donne, avec un bassin de lecture moindre. Cette visibilité vaut aussi pour des articles de revue, le blogue constituant une « passerelle » complémentaire vers de « vrais » articles[43]. En deuxième lieu, on peut mentionner une réactivité sans pareille où le contrôle est plus important qu’une mention dans les médias[44]. On peut aussi identifier l’itération grandement facilitée par l’espace dédié autorisant les commentaires. Ceci dit, au Québec du moins, cette opportunité demeure rare[45], plusieurs facteurs pouvant expliquer cette réalité[46]. Autre élément d’intérêt, les blogues sont par essence en accès libre[47] ce qui constitue une rupture avec une bonne partie de la doctrine traditionnelle. Autre avantage évident, les blogues constituent des moyens efficaces d’influencer la jurisprudence ce que la doctrine classique, de par ses processus de validation, ne peut pas effectuer aussi efficacement[48]. Enfin, cerise sur le gâteau, il arrive parfois que certains blogues donnent lieu à une citation externe, comme une mention dans une décision judiciaire, adoubant par le fait même leur état de doctrine, et ce, même si les occurrences semblent plus nombreuses aux Etats-Unis[49] qu’au Canada[50].
[42] Eugene VOLOKH, « Scholarship, Blogging, and Tradeoffs: On Discovering, Disseminating, and Doing », (2006) 84-5 Washington University Law Review 1089. David MCKENZIE et Berk ÖZLER, « The Impact of Economics Blogs », (2011) World Bank Working Paper 5783, https://elibrary.worldbank.org/doi/pdf/10.1596/1813-9450-5783.
[43] Édith GUILHERMONT, « La contribution des blogues juridiques à la connaissance, à la critique et aux transformations du droit », (2016) 62-1 McGill Law Journal 157, 189.
[44] Édith GUILHERMONT, « La contribution des blogues juridiques à la connaissance, à la critique et aux transformations du droit », (2016) 62-1 McGill Law Journal 157, 175 et 176.
[45] Édith GUILHERMONT, « La contribution des blogues juridiques à la connaissance, à la critique et aux transformations du droit », (2016) 62-1 McGill Law Journal 157, 179.
[46] On peut notamment penser au fait français, à la technicité du droit, à une forme d’écriture trop calquée sur l’écriture traditionnelle, une gène en lien avec la petitesse de la communauté juridique (des commentaires étant parfois davantage envoyés par courriel), etc.
[47] Lawrence B. SOLUM, « Blogging and the Transformation of Scholarship », (2006) 84-5 Washington University Law Review 1071, 1084.
[48] Paul DALY, «Legal Academia 2.0: New and Old Models of Academic Engagement and Influence», (2015) 20-1, Lex Electronica 39. En ligne : http://www.lex-electronica.org/s/1057.
[49] Lee F. PEOPLES, « The Citation of Blogs in Judicial Opinions » (2010) 13 Tulane Journal of Technology & Intellectual Property 39 ; J. Robert BROWN Jr., « Law Faculty Blogs and Disruptive Innovation » (2013) 1-3 Journal of Legal Metrics 525.
[50] Une rare hypothèse souvent mise de l’avant est celle de Paul Daly cité dans Giroux c Gauthier, 2016 QCCS 724, par. 29, avec de surcroît la mention fort élogieuse suivante : « Le tribunal tient à féliciter et à remercier le professeur Daly pour son excellent blogue qui est d’une grande utilité à tous ceux et celles qui œuvrent en droit administratif. »
2B – Blogue d’étudiants-chercheurs
[18] Cas d’école. Comme mentionné plus tôt, faute de temps, notre production de blogues à peu à peu décrue. En revanche, fort de l’expérience et des apports que l’on peut voir dans cette forme de communication, nous avons depuis une dizaine d’années proposé de noter nos étudiants en partie sur cette forme d’écriture[51]. En effet, dans le cadre d’un cours de maitrise sur le droit du commerce électronique, qui se prête bien à ce type d’évaluation, 40% de la note finale était composée de quatre billets de 2-3 pages chacun faisant état des enjeux juridiques. Loin d’être une distraction[52], cette manière de faire constitue un excellent outil de consolidation de connaissance, et ce, sous la supervision du professeur qui suite à un contrôle éditorial discret[53], décide par la suite de publier ledit article sur un site s’intitulant www.droitdu.net. Fort de cette expérience, nous sommes en mesure de croire que la qualité de ces billets est généralement meilleure que celle des productions classiques qui continuent à être demandées (l’un n’empêche pas l’autre !) aux étudiants. En effet, la publication constitue d’abord une récompense pour l’étudiant-chercheur qui se voit ainsi attribuer une mini-publication à son actif[54]. Elle est aussi un incitatif pour les étudiants à suivre l’actualité et à y trouver des sujets sur lesquels réagir, le tout en suivant les caractéristiques précédemment décrites. Les vertus pédagogiques de l’exercice ne se limitent pas à la rédaction à proprement parler, la haute actualité recherchée exigeant des étudiants à exercer un travail de veille afin d’identifier un sujet porteur pouvant donner lieu à analyse juridique. À cet égard, la tâche est efficacement facilitée par le « micro-blogue » comme Twitter permettant aux étudiants de se tenir au fait, presque en direct, de l’actualité du jour. Ces billets ainsi rendus publics sont aussi des moyens fort efficaces de densifier leur communauté professionnelle, que ce soit leurs collègues de classe[55] ou la profession au complet.
[51] À titre d’illustration, voir https://www.gautrais.com/cours/drt6903/drt6903-automne-2017/evaluation/.
[52] Kate GALLOWAY, Kristoffer GREAVES et Melissa CASTAN, « Interconnectedness, Multiplexity and the Global Student: The Role of Blogging and Micro Blogging in Opening Students’ Horizons », (2012) 5 Journal of the Australasian Law Teachers Association 1, à la page 8.
[53] Environ 30 à 40% des billets reçus donnent lieu à une publication sur le site dédié. Un tri éditorial est donc effectué selon le sujet, la profondeur de l’analyse, la qualité de l’écriture, etc. Selon les hypothèses, ce type s’opérait soit par le professeur lui-même soit par deux étudiants-chercheurs identifiés pour jouer ce rôle.
[54] Ari KOHEN, « Tumbling political Theory », (2014) Politics http://digitalcommons.unl.edu/poliscifacpub/57. Dans cet article, l’auteur évoque au contraire des billets anonymes afin d’inciter les étudiants-chercheurs à se « lâcher » davantage.
[55] Ari KOHEN, « Tumbling political Theory », (2014) Politics http://digitalcommons.unl.edu/poliscifacpub/57. L’auteur appuie beaucoup sur la nécessaire itération entre les étudiants-chercheurs eux-mêmes. Dans Angelique DAVI, Mark FRYDENBERG et Girish J. GULATI, « Blogging across the disciplines: Integrating technology to enhance liberal learning », (2007) 3 (3) MERLOT Journal of Online Learning and Teaching 222, 226.
[19] Doctrine 2.0. Dans un article récent, Guillaume Laganière prônait pour l’élargissement de la notion de doctrine où l’étudiant-chercheur devrait être en mesure de participer davantage à la réflexion de sa communauté ; on son rôle devrait être considéré de façon plus inclusive[56]. Non sans lien, il contribue à une critique initiée notamment par le professeur Duncan Kennedy pour vilipender l’enseignement du droit comme facteur de conservatisme, reproduisant les hiérarchies presque inhérentes à la matière[57]. Or, les blogues adhèrent à une pareille vision. Ils autorisent une « autonomisation » (empowerment) des étudiants-chercheurs[58]. Pris globalement, le fait de bloguer est donc une forme d’écriture numérique qui superpose les fonctions que le professeur se doit de remplir, à savoir la recherche, l’enseignement, l’apport à la société.
[56] Guillaume LAGANIÈRE, « Beyond the Textbook : Assessing the Value of Scholarship in Undergraduate Legal Education », (2017) 48-2 Revue de droit d’Ottawa 391, aux pages 396-397 : « My hope is that scholars and educators pay greater attention to their students’ engagement with legal scholarship, and use it in a more fruitful, inclusive, and pedagogical way — a challenge faced in all forms of pedagogy, including the ones currently being studied, tested, or implemented in law schools ».
[57] Duncan KENNEDY, L’enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies : une polémique autour du système, Montréal, Lux Édition, 2010.
[58] Guillaume LAGANIÈRE, « Beyond the Textbook : Assessing the Value of Scholarship in Undergraduate Legal Education », (2017) 48-2 Revue de droit d’Ottawa 391, à la page 416 : « Questioning the role of scholarship in undergraduate legal education leads to a better understanding of its pedagogy and the creation of new sites for student empowerment in the production of knowledge. This, however, is only the beginning ».
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