Branle-bas de combat pour la protection des renseignements personnels ; le 8 décembre 2017, la Cour Suprême du Canada a tranché en faveur de la nature privée des messages textes, même stockés sur le téléphone portable receveur (https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/16896/index.do ).
Pour rappel, l’accusé a été reconnu coupable de trafic d’armes par le Cour supérieur de justice d’Ontario le 14 novembre 2014 au regard des copies de messages textes saisis sur le téléphone portable de son coaccusé. Le 8 juillet 2016, La Cour d’appel d’Ontario confirme le jugement en réfutant tout attente raisonnable en matière de vie privée par la copie et l’utilisation de ces messages stockés sur le téléphone portable d’autrui à titre de preuve.
La question principale posée à la Cour suprême repose sur ce point de savoir si, une fois que le message a atteint son destinataire, l’expéditeur peut-il prétendre à une attente raisonnable en matière de vie privée sur ce message ?
La juge en chef Beverley McLachlin répond par la positive et la Cour suprême accueille l’appel à la majorité (5-2). Au regard de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/Const/page-15.html Ci-après la Charte) qui constitue une protection constitutionnelle du droit à la vie privée, les messages textes, mêmes stockés sur le téléphone portable receveur, sont considérés comme privés.
L’attente raisonnable en matière de vie privée, à quoi ça sert ?
L’article 8 de la Charte prévoit que « chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. ».
Dans l’arrêt Hunter c. Southam (https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/5274/index.do ), le juge Dickson affine la portée de la protection au cas où il y a une attente raisonnable en matière de vie privée, c’est-à-dire que subjectivement, « la personne placée en pareille situation peut raisonnablement croire à la possibilité d’être laissée tranquille, à l’abri des indiscrétions » (tel que défini par la professeure Diane Veuilleux : https://www.barreau.qc.ca/pdf/publications/revue/2000-tome-60-1-p1.pdf ).
Ainsi, pour contester une preuve sur le fondement de l’article 8 de la Charte, l’accusé doit établir qu’il était en position d’attente raisonnable. Il doit donc établir un intérêt direct dans le contenu des messages, cette attente doit être subjective et raisonnable.
L’intérêt est facilement identifiable, surtout lorsque l’accusé est l’auteur des messages. L’attente subjective est aussi qualifiée en l’espèce, le condamné ayant à plusieurs reprises demandé la suppression des messages. Toutefois, le point de discorde survient sur le caractère raisonnable de l’attente. Peut-on considéré qu’il y a encore une attente raisonnable alors que l’expéditeur n’a plus le contrôle du message, une fois envoyé ?
La réponse négative des juges des instances inférieures
Première instance
A la majorité, les juges de première instance ont refusé la contestation en vertu de l’article 8 de la Charte car l’attente raisonnable ne pouvait être qualifier. En effet, le jugement énonce qu’une fois que le message a été envoyé, l’expéditeur ne peut plus prétendre à aucun contrôle dessus :
« Once the message reaches its intended recipient … it is no longer under the control of the sender. It is under the complete control of the recipient to do with what he or she wants. In my view, there is no longer any reasonable expectation of privacy in the sender. »
Pour se faire, le jugement se fonde sur les critères dégagés par l’arrêt Edwards (1996 CanLII 255 (CSC) ) permettant d’évaluer si l’attente est raisonnable ou non.
Cour d’appel
Les juges de la Cour d’appel vont reprendre cet argumentaire et conclure, de la même manière, qu’au regard des circonstances, l’attente raisonnable ne peut être retenue, du fait de la spécificité technologique du moyen utilisé. En effet, malgré les arrêts Pelucco (2015 BCCA 370 (CanLII) ) et Craig (2016 BCCA 154 ( CanLII) ) de la Cour d’appel de Colombie-Britannique invoqué par l’appelant, reconnaissant l’attente objectivement raisonnable de la confidentialité des messages textes même entre les mains du destinataire, le juge en chef MacPherson, soutient que l’expéditeur doit avoir conscience que les communications par message sont susceptibles de sortir du cadre privé.
A l’inverse, la juge LaForme soutient que l’appelant avait qualité pour contester la preuve au regard de l’article 8 de la Charte. En effet, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques , LC 2000, ch.5 ) a été promulguée afin de protéger les informations personnelles et les intérêts de la vie privée des individus, même lorsqu’ils ont été recueillis et utilisés par des organismes du secteur privé ainsi, mêmes les informations qui ne sont plus directement sous leur contrôle, sont toujours considérés comme des renseignements personnels.
Ainsi, une personne a toujours un intérêt à ce que ses informations soient reconnues comme privées, même lorsqu’elle n’a pas de contrôle exclusif dessus comme dans le cas présent de l’espèce.
La position de la Cour suprême
La Cour suprême va recueillir la demande d’appel de l’accusé au regard du caractère raisonnable de l’attente qu’il pouvait avoir sur le caractère privé de ses correspondances par messages texte.
Afin d’établir ce caractère raisonnable, les juges se fondent sur trois facteurs dégagés par l’arrêt Edwards précité. Il s’agit d’étudier le lieu fouille, le caractère privé de la fouille et le contrôle du demander sur l’objet de la fouille (par. 24).
Concernant le premier critère de la fouille. Malgré l’encadrement difficile de ce paramètre par la matière numérique, les juges énoncent que quel que soit le lieu où la conversation se situe (soit un salon de clavardage immatériel soit le téléphone lui-même), ce critère est rempli en l’espèce (par. 30)
Concernant le critère du caractère privé de l’objet de la fouille. L’objet va être considéré comme privé dès lors qu’il existe un risque que le contenu révèle des éléments au sujet du mode de vie de l’individu ou bien des renseignements biographiques. En l’espèce, les juges retiennent que la conversation est privée car des renseignements personnels peuvent en être retirés (par. 32).
Concernant le critère du contrôle sur l’objet de la fouille. Il ne s’agit pas d’un facteur indépendant, les juges rappellent que l’élément de contrôle doit être pris en considération de l’ensemble des circonstances ainsi le contrôle absolu ne permet pas d’établir le caractère raisonnable de l’attente, pas plus que « son absence ne porte un coup fatal à la reconnaissance » (par. 38). La juge en chef reprend l’argumentation de la juge dissidente en appel et conclue qu’envoyer un message et prendre le risque que l’interlocuteur le divulgue, ne permet pas d’exclure de facto une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard de la conversation en cause (par. 40)
Ainsi, même si la « réalité technologique empêche d’exercer un contrôle exclusif sur ses renseignements personnels, une personne peut malgré tout s’attendre raisonnablement ç ce que ces renseignements soient à l’abri » (par. 41). Le contrôle de nos renseignements doit rester intact malgré l’arrivée des nouvelles technologies. Chacun a la faculté de décider où, quand et comment ses renseignements peuvent être communiques (Alan F. Westin, Privacy and Freedom, New York, Atheneum, 1970).
Cette décision a été saluée par l’Association canadienne des libertés civiles, représentée par l’avocate Christine Lonsdale lors du procès. Elle déclare que les nouveaux modes de communication doivent recevoir la même protection de la vie privée (http://www.droit-inc.com/article21640-Les-textos-peuvent-etre-consideres-prives-dit-la-Cour-Supreme) et cet arrêt met enfin le doigt dessus.
En effet, elle vient mettre en exergue le problème des nouvelles technologies face à des lois qui semblent dépassées. Le juge Rowe conclue que le droit doit évoluer au regard des progrès technologiques (par.86). Toutefois, cela doit rester encadrer de manière neutre. Ainsi, aux opinions dissidents des juges Moldaver et Côté qui mettent en garde contre les répercussions que peuvent avoir cette application extensive de l’article 8 de la Charte (par. 178-188), la juge en chef prend le soin de préciser que toute atteinte n’emporte pas nécessairement une exclusion de la preuve qui peut être recevable en application de l’article 24(2) de la Charte (par. 52) afin d’éviter de généraliser la solution et de créer un droit automatique de contestation (déjà dégagé par l’arrêt Edwards précité).
Cet arrêt peut être salué et, on l’espère, sera pris en exemple pour que les juges prennent en considération les effets des nouvelles technologies sur la vie privée, notamment au sein de la justice (http://www.rcinet.ca/fr/2017/12/08/la-cour-supreme-tranche-en-faveur-de-la-nature-privee-des-textos/ ).
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