Le 5 octobre dernier, le ministre des Finances du Québec a déposé devant l’Assemblée nationale, un projet de loi omnibus, le projet de loi 141 « Loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, la protection des dépôts d’argent et le régime de fonctionnement des institutions financières ». Ce projet de loi vise, notamment, moderniser certaines lois et les adapter à la réalité technologique qui guide les habitudes des consommateurs. Dans cet esprit, le projet modifie la Loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF) afin de faciliter la vente en ligne des produits et services financiers. Certaines modifications permettent essentiellement aux cabinets d’offrir des produits et services financiers sans représentants certifiés. La référence aux représentants a été supprimée de l’article 70 de la LDPSF, ainsi on peut lire : « La personne morale qui offre des produits et services financiers agit comme cabinet soit unidisciplinaire, soit multidisciplinaire. Un cabinet est unidisciplinaire lorsqu’il offre, des produits et services dans une seule discipline… » et un nouvel article a été ajouté :
« 71,1. Un cabinet peut, sans l’entremise d’une personne physique, offrir des produits et services dans une discipline dès lors qu’il a à son emploi un représentant qui peut pratiquer dans cette discipline. »
Or, ces modifications n’ont pas été reçues favorablement par tous les intervenants du secteur financier. C’était déjà prévisible à la lecture du Rapport sur l’application de la Loi sur la distribution de produits et services financiers déposé par le ministre des Finances en mai 2015. Les assureurs se réjouissent d’une telle souplesse, mais Option consommateur et la Chambre de l’assurance dommages craignent que les consommateurs soient lésés par cette approche sans l’aide de professionnels certifiés qui peuvent les guider et les conseiller. La Chambre de l’assurance de dommages, elle-même abolie par ce projet de loi, avait publié dans son mémoire en réponse à la consultation publique sur l’application de la LDPSF qu’elle : « croit essentiel qu’un représentant certifié joue un rôle dans la distribution d’assurance en ligne. Il pourrait notamment intervenir lors de la révision des questionnaires complétés ou par un service de clavardage en ligne. Le but est de protéger le public contre ses propres erreurs et d’éviter qu’il souscrive à une assurance dont la protection ou la demande d’indemnité serait refusée pour manque ou défaut d’information pertinente. » Elle recommande que la distribution sans représentants « demeurer un régime d’exception, comme le prévoit actuellement la LDPSF. Par ailleurs, le Québec pourrait faire un pas de plus et s’inspirer du modèle instauré dans certaines autres provinces canadiennes. La distribution de certains produits d’assurance accessoires, comme l’assurance de remplacement, pourrait se faire par des individus ayant un permis restreint ». La Chambre de l’assurance dommages, avait aussi publié une étude sur la vente d’assurance en ligne, faisant référence à la conférence intitulée « À quoi devrait ressembler la vente d’assurance en ligne : qu’en pense l’industrie ? », présentée lors de la Journée de l’assurance de dommages 2016. Cette étude démontre d’un côté le tournant technologique inévitable à prendre pour suivre les habitudes de consommation de la majorité des consommateurs et d’un autre côté les craintes des consommateurs face à la conclusion complète d’une transaction d’achat d’assurance en ligne. L’étude aborde aussi la réglementation de la vente en ligne des produits et services financiers à l’international afin de donner des pistes de solution et des pièges à éviter.
Le 24 octobre 2017, Options consommateurs a publié un communiqué intitulé « Projet de loi 141 – Option consommateurs est consternée ». Christian Corbeil, directeur général d’Option consommateurs a déclaré : « Mis à part quelques aspects favorables aux consommateurs, notamment l’élargissement de l’admissibilité au Fonds d’indemnisation des services financiers, le projet de loi provoque un recul majeur en matière de protection du consommateur ». Option consommateurs attire l’attention sur quelques préoccupations reliées aux manques d’encadrements des pratiques proposés par les modifications de la LDPSF. On peut lire sur leur communiqué :
« L’élimination du terme “conseiller” tel que prévu dans le projet de loi. “Cela nous fait craindre la perte du devoir de conseil ainsi que de la professionnalisation des représentants”, dit Me Annik Bélanger-Krams, avocate à Option consommateurs, ce qui est extrêmement risqué. Est-ce que cela veut dire qu’éventuellement, les produits d’assurance pourraient être offerts par une personne qui n’est pas certifiée ? », demande l’avocate. Le fait que le projet de loi vise à permettre la distribution de produits d’assurance en ligne sans l’encadrer suffisamment. « Les consommateurs qui transigeront en ligne seront moins bien protégés et les cabinets auront moins d’obligations à respecter. De plus, il n’est pas évident que les cabinets ont l’obligation de s’assurer que le consommateur parle réellement à un représentant certifié ». Cela constitue un recul dans la protection des consommateurs. « Il est surprenant qu’on agisse de la sorte alors que les produits financiers sont de plus en plus complexes et que les consommateurs ont besoin d’une protection plus grande que jamais », dit Me Bélanger-Krams. La diminution des obligations des représentants. Ces derniers, qui avaient l’obligation de proposer au consommateur « le produit d’assurance qui lui convient le mieux » pourront désormais se contenter « d’identifier ses besoins » et de « le conseiller adéquatement ». De plus, ils n’ont plus l’obligation de recueillir « personnellement » les renseignements nécessaires. « Cela représente un recul inacceptable en matière de protection du consommateur », dit Me Bélanger-Krams. ».
De son côté, l’Autorité des marchés financiers (AMF), avait apporté des précisons dans son rapport sur les résultats de la consultation sur la distribution d’assurance par Internet, à l’effet que l’exigence de l’intervention d’un représentant certifié contenue dans la LDPSF vient balancer un déséquilibre informationnel qui n’est pas à l’avantage du consommateur. Pour pallier ce manque d’accompagnement par le représentant certifié, l’AMF a recommandé dans son rapport l’obligation pour le fournisseur de service en ligne de mettre à la disposition du consommateur tous les outils et toutes les informations nécessaires afin de comprendre les produits et services vendus et prendre une décision éclairée. Et qu’à n’importe quel moment ou étape de la souscription, le consommateur peut avoir accès à l’assistance d’un représentant certifié. L’AMF, recommande aussi l’ajout d’un droit de résolution d’une durée raisonnable si le consommateur n’a pas consulté les services d’un représentant certifié. D’autres solutions sont proposées par l’AMF afin de bien encadrer cette pratique et protéger le public, peu importe le moyen que le consommateur choisit pour l’achat d’un produit d’assurance. Si le projet de loi est adopté tel quel, la ligne est déjà tracée pour l’AMF qui reprendra les responsabilités de la Chambre de l’assurance de dommage afin de réglementer ce secteur dans les périmètres tracés par le projet de loi. Toutefois, d’autres situations vont devoir être résolues par le biais de règlements, directives et autres encadrements afin de maintenir une certaine souplesse et agilité face aux développements rapides des technologies. Ces encadrements seront complémentaires aux lois déjà existantes, spécifiquement, la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (Québec) et la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (Québec). L’application de ces lois à la distribution en ligne des produits et services financiers permettra d’encadrer toutes les questions relatives aux contrats conclus en ligne, la signature électronique, la sécurité et la confidentialité de l’information soumises par les consommateurs, le choix du moyen technologique adéquat, le droit à l’annulation de la transaction suite à une erreur et toutes les questions qui entourent le cycle de vie du document technologique et sa valeur juridique. En conclusion, 18 ans après l’adoption de la LDPSF, des modifications sont proposées afin de s’adapter aux nouvelles technologies qui dictent les habitudes des consommateurs, toutefois il est clair que ce saut ne peut se faire au détriment des consommateurs et qu’il est impératif d’encadrer ces pratiques afin d’offrir une meilleure protection du public. Le législateur doit innover afin de rester souple et anticiper les problèmes qui peuvent surgir de l’application de nouvelles approches, comme le souligne Michel Serres « les nouvelles technologies nous ont condamnés à devenir intelligents ! ».
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