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Les chauffeurs Uber : travailleurs autonomes ou salariés?

1 novembre 2016
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Le 28 octobre dernier, un tribunal du travail de Londres a déclaré que les chauffeurs d’Uber ne sont pas des travailleurs autonomes, mais bel et bien des employés. Il ne s’agit pas d’un premier revers de la sorte pour la multinationale américaine. En effet, en 2015, le département de l’emploi de la Californie est aussi allé dans ce sens et la décision a été confirmée par un tribunal administratif et en appel.

Ce jugement du Royaume-Uni vient ébranler le modèle d’affaires d’Uber qui consiste à simplement faire le lien entre les chauffeurs et les clients à l’aide d’une plateforme technologique. Dans ses arguments, Uber prétend être une entreprise de technologie, elle ne se considère pas comme une société de transport et encore moins comme un employeur. Par conséquent, Uber soutient que les chauffeurs sont des contractants indépendants. Le tribunal n’a pas retenu ces arguments et a même émis des propos cinglants à l’endroit de l’entreprise.

Any organisation … resorting in its documentation to fictions, twisted language and even brand new terminology, merits, we think, a degree of scepticism.

La décision de la cour repose sur essentiellement sur 13 motifs. On retrouve notamment le manque de discrétion des chauffeurs à accepter ou refuser les réservations, le fait qu’Uber détermine les trajets, les tarifs et les conditions de travail telles que la performance des chauffeurs et que l’entreprise détient le pouvoir de modifier unilatéralement les termes du contrat. Selon le tribunal, le rapport contractuel entre le chauffeur et le passager n’est que pure fiction.

We are satisfied that the the supposed driver/passenger contract is a pure fiction which bears no relation to the real dealings and relationships between the parties.

En conclusion, les juges estiment que dans les faits, Uber se comporte comme un employeur.

Ms Bertram [Uber’s regional general manager for the UK] spoke of Uber assisting the drivers to “grow” their businesses, but no driver is in a position to do anything of the kind, unless growing his business simply means spending more hours at the wheel.

Les conséquences s’avèrent très importants pour Uber, car cela implique que ses 40 000 chauffeurs au Royaume-Uni auraient droit au salaire minimum, à des vacances payées, à des congés de maladie et autres conditions de travail prévues par la loi. Sans surprise, Uber a décidé de porter le jugement en appel.

À l’instar de certains États américains tels que la Géorgie, la Pennsylvanie, le Colorado, l’Indiana, le Texas, l’Illinois et New York, les chauffeurs d’Uber sont considérés comme des travailleurs autonomes au Québec. En ayant ce statut, les chauffeurs n’ont pas l’obligation de percevoir ni de rembourser la TPS et la TVQ si les revenus générés demeurent en bas du seuil du 30 000$ par année et ils ne sont pas soumis à différentes lois. Cependant, cette qualification est sujette à contestation. Et selon mon humble avis, il y a matière à contester.

Il a été déterminé que la qualification du travailleur autonome ou du salarié revient au tribunal et ce, malgré les clauses contractuelles prévues par les parties. En effet, c’est seulement suite à l’analyse des faits en cause que la nature du rapport liant la personne avec l’organisation pourra être définie.

Le Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») reconnaît un salarié sous les mêmes critères que la Loi sur les normes du travail (ci-après « L.n.t. ») et le Code du travail (ci-après « C.t. »). Les trois exigences se trouvent aux articles 2085 C.c.Q., 1(10) L.n.t. et 1(l) C.t. : il faut qu’il y ait une prestation de travail, une rémunération et une forme de subordination.

Premièrement, la prestation de travail doit être personnelle, c’est-à-dire qu’elle doit être exécutée par le salarié même. Le lieu de l’exécution, la durée de l’emploi et la nature du travail importent peu.  Cela signifie que le salarié n’a pas à faire son travail sur les lieux mêmes de l’entreprise. La période de l’emploi peut être déterminée ou indéterminée, à temps plein ou partiel. Aussi, le travail peut être de nature manuelle, professionnelle ou intellectuelle.

Deuxièmement, la présence d’une rémunération est impérative pour avoir le statut de salarié, c’est pourquoi un bénévole n’est pas considéré comme un salarié au sens de ces lois. Cependant, la forme de rémunération n’est pas un facteur. Elle peut être à la pièce ou selon le temps de travail (à l’heure, la semaine, le mois ou l’année) ou à la commission (pourcentage des montants de la vente).

Troisièmement, il faut que le travail du salarié soit sous le contrôle ou la direction de l’employeur. Cette subordination peut être stricte, c’est-à-dire qu’il y a un contrôle immédiat de la part de l’employeur. Dans son sens large, les tribunaux jugent que la faculté d’encadrer le travail suffit, ce faisant ils respectent l’autonomie professionnelle du salarié sans pour autant lui enlever son statut de salarié. La dépendance économique est aussi un élément ou un indice de la subordination.

Les deux premiers critères sont indubitablement respectés. Au regard du critère de subordination, si on se fie aux motifs du jugement du tribunal du travail londonien, force est de conclure que les chauffeurs d’Uber sont des salariés.

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