Dans Banque Royale du Canada c. Trang, la Cour Suprême a rendu à l’unanimité, sous la plume de l’honorable Suzanne Côté, une décision importante concernant la divulgation de renseignements personnels sous la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (ci-après LPRPDE).
Les faits :
La banque RBC était créancière d’un jugement contre les débiteurs Trang et a sollicité la vente d’un immeuble par un shérif alors que celui-ci refuse de s’exécuter sans l’obtention d’une mainlevée d’hypothèque. Conformément à la Loi sur l’exécution forcée, la RBC signifie à deux reprises aux Trang de se présenter à l’interrogatoire préalable à la saisie-exécution de leur propriété. Les Trang ne se présentent à aucun des interrogatoires préalables. Incidemment, la RBC soumet une requête pour obliger la Banque Scotia à produire la mainlevée d’hypothèque puisque cette dernière refuse de produire l’état en invoquant la LPRPDE. En première instance et en Cour d’appel de l’Ontario, la requête de la RBC a été rejetée. La majorité des juges des cours inférieures maintiennent « qu’un état de mainlevée d’hypothèque est un renseignement personnel au sens de la LPRPDE » et qu’il n’y a pas eu de consentement implicite à la communication. En Cour suprême, le pourvoi est accueilli et on ordonne à la Banque Scotia de produire la mainlevée.
Résumé de la décision de la Cour suprême :
Par ce jugement, la Cour suprême a répondu à deux questions importantes. Premièrement, est-ce que la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, article 7(3)c), interdit au créancier hypothécaire de communiquer l’état de mainlevée de l’hypothèque au créancier d’un jugement sans le consentement du débiteur hypothécaire ou du débiteur, et subsidiairement, est-ce que les débiteurs ont donné leur consentement implicite à la divulgation.
La règle générale de la LPRPDE est qu’il est interdit pour une organisation de communiquer des renseignements personnels (tout renseignement concernant un individu identifiable). Toutefois, la cour rappelle que cette loi « n’interdit pas de façon absolue la communication » et qu’il existe certaines exceptions à cette règle générale. Notamment, celle de l’article 7(3) b) de la LPRPDE « lorsque la communication est faite en vue du recouvrement d’une créance que [l’organisation] a contre l’intéressé » et 7(3) c) qui prévoit que l’organisation peut communiquer des renseignements personnels sans le consentement si « elle est exigée par assignation, mandat ou ordonnance d’un tribunal ».
La Cour a affirmé qu’un consentement exprès n’était pas nécessaire sous la LPRPDE puisqu’une « personne raisonnable s’attend à ce qu’un créancier soit en mesure d’obtenir les renseignements nécessaires pour exercer son droit de procéder à la réalisation » et que les débiteurs y ont consenti implicitement au moment de contracter l’hypothèque. L’annexe 1, article 4.3.6, de la LPRPDE « reconnaît que, pour l’application de la loi, le consentement peut être implicite lorsque les renseignements sont moins sensibles » alors que l’article 4.3.5 prévoit qu’il est approprié de prendre en considération les attentes raisonnables des individus en matière de consentement.
Partageant le point de vue du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada nommé à titre d’amicus curiae à l’effet que « que les renseignements financiers sont généralement des renseignements extrêmement sensibles » (voir également la décision R. c. Cole 2012 CSC 53), la Cour suprême a toutefois souligné que « le degré selon lequel un renseignement d’ordre financier précis est sensible est en fonction du contexte ». De plus, l’évaluation du caractère sensible doit également « tenir compte des renseignements financiers connexes qui sont déjà du domaine public, de la raison pour laquelle les renseignements financiers sont rendus publics et de la nature de la relation entre le débiteur hypothécaire, le créancier hypothécaire et les tiers directement touchés ». En se fondant sur l’examen attentif du contexte qui est effectué par le Commissariat à la protection de la vie privée dans plusieurs rapports de conclusion, les juges soulignent que pour circonscrire les attentes raisonnables d’un individu « l’entièreté du contexte est importante ».
En l’espèce, la Loi portant réforme de l’enregistrement immobilier rend public le montant principal de l’hypothèque, le taux d’intérêt, les périodes de paiement et la date d’échéance de l’hypothèque « notamment pour permettre aux créanciers possédant un intérêt, actuel ou futur, sur le bienfonds de prendre des décisions éclairées ». Ainsi, les juges concluent que « l’information recherchée est moins sensible que d’autres informations financières », d’autant plus que l’état de compte visé pourra avoir une incidence sur d’autres créanciers. De plus, « [u]ne personne raisonnable qui emprunte de l’argent sait qu’en cas de défaut de paiement, son créancier sera en droit de recouvrer sa créance sur ses biens. Il s’ensuit qu’une personne raisonnable s’attend à ce qu’un créancier soit en mesure d’obtenir les renseignements nécessaires pour exercer son droit de procéder à la réalisation ».
Au final, cette décision aura sur l’industrie bancaire comme effet de faciliter le recouvrement des créances en plus d’émettre « a strong suggestion that debtors should not be able to use data protection laws […] to frustrate the ability of creditors to realize amounts owing ». Alors que les juges de la Cour d’appel de l’Ontario proposaient à la RBC, pour obtenir les états de mainlevée d’hypothèque, une clause de consentement expresse à la communication dans la convention de prêt ou la présentation d’une requête judiciaire « en vertu de l’al. 60.18 (6)a) des Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, en vue d’obtenir une ordonnance prescrivant l’interrogatoire d’un représentant de Banque Scotia », force est de constater que cette décision qui renverse la position de Cards Canada Inc. c. Pleasance, offre une alternative beaucoup plus efficace et rapide pour les organisations qui veulent recouvrer une créance.
Conformément avec ce qui avait été avancé en obiter dictum par la juge en chef Hoy de la Cour d’appel de l’Ontario, cette décision prend en considération le principe d’accessibilité et rejette certaines prétentions des défendeurs en invoquant qu’il serait « indûment formaliste et préjudiciable » d’obliger la RBC à présenter une seconde requête invoquant des articles précis des Règles de procédure civile et souligne que « [p]our favoriser l’accès à la justice il faut considérer la situation de tous les justiciables ». La Cour suprême a applaudi les propos ci-dessous de la juge en chef adjointe Alexandra Hoy dans la décision de la Cour d’appel de l’Ontario :
It would fly in the face of increasing concerns about access to justice in Canada to dismiss this appeal and require RBC to bring yet another motion. A legal system which is unnecessarily complex and rule-focused is antithetical to access to justice. RBC has brought two motions and made two trips to this court over a several year period — simply to discern how much remains outstanding on the Trang’s mortgage to enforce a valid judgment. I add that not all litigants have the resources RBC has available, or are able to make multiple trips to court. Ensuring access to justice requires paying attention to the plight of all litigants.
Cette décision rappelle également que la LPRPDE ne doit pas diminuer le pouvoir judiciaire de rendre les ordonnances appropriées. La Cour suprême a certainement su balancer la protection de la vie privée et les préoccupations opérationnelles légitimes dans cet arrêt.