La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu le 10 novembre dernier, un arrêt concernant l’affaire Vereniging Openbare Bibliotheken c. Stichting Leenrecht. Il s’agissait de statuer sur la question du régime juridique du prêt de e-book, à savoir si celui-ci pouvait être assimilé ou non au prêt d’un livre papier.
Le contexte : aux Pays-Bas, le prêt de livres électroniques par les bibliothèques ne relève pas du même régime que le prêt de livres sous format papier. En effet, concernant le prêt de livres sous format papier, les bibliothèques versent une somme forfaitaire à une fondation chargée par le ministre de la Justice de la perception des rémunérations au titre du prêt (Stichting) et qui distribue par la suite les rémunérations perçues aux titulaires des droits (paragraphe 18,19). Alors que le prêt de livres électroniques sur internet par les bibliothèques se fait sur la base d’accords de licence avec les titulaires des droits (paragraphe 24).
La Vereniging Openbare Bibliotheken (VOB) qui est une association regroupant toutes les bibliothèques publiques aux Pays-Bas a assigné en justice la fondation Stichting afin d’obtenir une « déclaration pour droit selon laquelle l’actuelle (…), loi sur les droits d’auteur couvre déjà les prêts numériques » (paragraphe 25). L’assignation de VOB concernait un certain type de prêt : celui permettant à un utilisateur de télécharger une copie (B) sous forme numérique sur son propre ordinateur, pour une période fixée par avance, de la copie sous forme numérique du livre (A) dès lors, aucun autre utilisateur ne peut télécharger la copie numérique du livre (A) durant ce prêt, le prêt se fait alors selon la méthode « one copy, one user ». A noter, qu’à l’expiration de la période fixée, l’usager ne peut plus utiliser le livre qui peut ainsi être emprunté par un autre usager.
Le tribunal de La Haye (Pays-Bas) saisi du litige a décidé de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) en considérant que l’issue du litige ne pouvait être tranchée qu’en fonction de l’interprétation des dispositions du droit de l’Union Européenne.
Il s’agissait en effet de savoir si ce type de prêt rentrait dans le champ d’application des articles 1, 2, 6 de la directive 2006/115/CE du 12 décembre 2006 qui s’appliquaient au prêt de livres sous format papier c’est-à-dire si le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire les locations et les prêts de livres appartenaient à l’auteur de l’oeuvre (article 1 de la directive) et si les Etats membres pouvaient déroger à ce droit exclusif pour les prêts publics à condition que les auteurs obtiennent une rémunération équitable (article 6 de la directive).
La CJUE considère dans ses conclusions qu’il n’existe « aucun motif décisif permettant d’exclure, en toute hypothèse, du champ d’application de la directive 2006/115 le prêt de copies numériques et d’objets intangibles » (paragraphe 44). La Cour rappelle que cette conclusion est corroborée par l’objectif de la directive 2006/115/CE (objectif contenu au paragraphe 4) qui est d’adapter le droit d’auteur aux réalités économiques nouvelles notamment aux nouvelles formes d’exploitations (paragraphe 45 et 46). Or le prêt du livre numérique en est justement une.
Elle valide alors les conclusions de l’avocat général du 16 juin 2016 qui considère que « le prêt d’un livre numérique est comparable au prêt d’un livre traditionnel »
La Cour poursuit en indiquant que les Etats membres ont la possibilité de fixer des conditions supplémentaires au prêt du livre numérique dans le but d’améliorer la protection des droits des auteurs (paragraphe 61) dans la mesure où la protection prévue par la directive ne représente que le seuil minimal de protection. Or la législation néerlandaise prévoyait que, la copie de livre sous forme numérique à disposition par la bibliothèque publique devait être mise en circulation par une première vente ou par un autre transfert de propriété de cette copie dans l’Union européenne, par le titulaire du droit de distribution au public ou avec son consentement. Par conséquent elle en conclut que la condition ajoutée par les Pays-Bas est compatible avec la directive 2006/115/CE.
Enfin, la Cour précise qu’en ce qui concerne la copie obtenue à partir d’une source illégale, l’article 6 de la directive 2006/115/CE s’oppose à ce que la dérogation prévue s’applique à la copie du livre sous forme numérique.
Pour l’European Bureau of Library Information and Documentation Associations (EBLIDA), l’International Federation of Library Associations (IFLA) et Public Libraries 2020 il s’agit d’une véritable
Reconnaissance judicieuse que le prêt en bibliothèque inclut le prêt à distance de livres numériques, quel que soit le format aux usagers de bibliothèques, pour une période de temps limitée, et non pour un avantage économique direct ou indirect.
Concernant le monde de l’édition, la décision a été très mal accueillie. En effet, le livre numérique va pouvoir être prêté par une bibliothèque si le prêt se limite à un seul exemplaire en circulation et si la bibliothèque verse une rémunération équitable à ou aux auteurs du livre en question. Par conséquent, les éditeurs ne seront pas rémunérés pour le prêt de livres numériques. Pour Pierre Dutilleul, directeur général du Syndicat national de l’édition (SNE), « considérer que le prêt numérique est la même chose qu’un prêt physique est quelque chose qui ne tient pas compte des réalités et des conséquences que cela peut avoir » (à propos du verdict de l’avocat général). Il rappelle que les expériences faites en Suède et au Danemark ont prouvé qu’un accès trop massif aux ebooks avait pour conséquence de perturber le marché des livres numériques.
L’Association des éditeurs et des librairies allemands qui a vivement réagi après la publication de la décision de la CJUE, considère qu’il s’agit d’un « faux pas pour le marché de l’ebook ». Alexander Skipis, directeur général de l’association indique que « la distribution du livre numérique diffère fondamentalement de celle du livre papier. Les ebooks peuvent être copiés en masse sans qu’aucune rémunération ne soit versée ». La Fédération des éditeurs européens (FEE) ajoute qu’un partenariat des bibliothèques avec les éditeurs aurait permis de créer un marché équilibré et considère que « la décision de la CJUE est un choc pour la communauté de l’édition ».