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Dix ans plus tard, la bibliothèque numérique de Google pourra voir le jour

19 avril 2016
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Le 18 avril 2016, la Cour suprême des États-Unis a mis fin à cette saga judiciaire qui dure depuis plus de 10 ans concernant le projet de Bibliothèque numérique de Google (Google Books). Ce projet fût lancé en 2004 et, depuis ce jour, près de 20 millions d’ouvrages, principalement à vocation académique, ont été numérisés, prêts à être mis à la disposition du public par le biais un index de recherche de titre et d’extraits. Or, puisque bon nombre de ces ouvrages n’étaient pas libres de droits, de nombreux auteurs, sous le chapeau du Authors Guild, invoquaient une violation du droit d’auteur. La Cour d’appel avait rendu un jugement en 2015 qui donnait raison à Google. Or, le Authors Guild avait appelé de cette décision en déposant une pétition. En ce 18 avril 2016, la Cour suprême refusa d’entendre la cause, donnant indirectement raison à Google à nouveau en lui accordant le feu vert pour poursuivre son projet.

Bien que le Authors Guild ne soit inévitablement pas satisfait de la conclusion de ce dénouement, invoquant même que cette décision pourrait mettre en péril la pérennité de la culture américaine, certains auteurs sont toutefois ravis. De fait, une autre association d’auteurs, le Author Alliance, soutenait la position de Google. Elle avait d’ailleurs déposé un texte à la Cour d’appel du second Circuit dans lequel elle faisait part de sa position. L’argument principal au fondement de sa prise de position était le suivant :

« Book Search makes it possible for many who are not privileged to have physical access to research library collections to be able to discover that our works exist. Interested researchers should be able to find in an efficient way the ideas and contributions to human knowledge contained in our writing. We want our intellectual legacies to extend to a new generation of readers who nowadays search and find books almost exclusively online. Creation of a full-text searchable database of books provides these benefits. »

C’est d’ailleurs pour cette raison que le Author Alliance se réjouit que la décision de la Cour d’appel soit maintenue. En effet, cela signifie que leurs ouvrages pourront se faire connaître plus facilement par l’intermédiaire de ce nouvel outil de recherche.

Fair Use

La décision de la Cour d’appel, qui a maintenant été confirmée comme étant maintenue, se fondait sur le Fair Use, aussi appelé l’utilisation équitable. Le Fair Use est une limite à l’exercice exclusif du droit d’auteur prévu à l’article 107 du U.S. Copyright Act. Bien que l’analyse de l’utilisation équitable se fasse au cas par cas, quatre éléments se retrouvant dans l’article 107 se devaient d’être pris en compte. L’article en question se lit ainsi :

« Notwithstanding the provisions of sections 106 and 106A, the fair use of a copyrighted work, including such use by reproduction in copies or phonorecords or by any other means specified by that section, for purposes such as criticism, comment, news reporting, teaching (including multiple copies for classroom use), scholarship, or research, is not an infringement of copyright. In determining whether the use made of a work in any particular case is a fair use the factors to be considered shall include—

(1) the purpose and character of the use, including whether such use is of a commercial nature or is for nonprofit educational purposes;

(2) the nature of the copyrighted work;

(3) the amount and substantiality of the portion used in relation to the copyrighted work as a whole; and

(4) the effect of the use upon the potential market for or value of the copyrighted work.

The fact that a work is unpublished shall not itself bar a finding of fair use if such finding is made upon consideration of all the above factors »

Cette doctrine avait été développée dans l’objectif de faire la promotion du progrès de la science et des Arts, ce qui explique à notre avis pourvoir cette exception à la protection exclusive du droit d’auteur se prête si bien en l’espèce.

Étant d’un autre avis, dans sa pétition demandant à la Cour suprême d’entendre son appel, le Authors Guild prétendait que d’autoriser la librairie numérique et la numérisation non autorisée de nombreux ouvrages protégés entrainait une interprétation très large de la doctrine du Fair Use, créant ainsi un précédent non négligeable.

Or, la Cour d’appel avait répliqué à cet argument en reprenant les critères de l’article 107 et justifiant leur application en l’espèce (p. 4) :

“Google’s making of a digital copy to provide a search function is a transformative use, which augments public knowledge by making available information about Plaintiffs’ books without providing the public with a substantial substitute for matter protected by the Plaintiffs’ copyright interests in the original works or derivatives of them.”

Dans ce même ordre d’idée, il est également pertinent d’ajouter, que la librairie numérique n’a pas l’intention de mettre à la disposition du public l’œuvre entière de l’auteur, mais seulement un extrait afin que l’internaute puisse le consulter et se diriger vers des liens où il pourra éventuellement acheter le livre, suite à la lecture de l’extrait. De fait, Google ne vend pas de livres protégés par le droit d’auteur et ne retirera aucun profit de la publicité sur Google Books, puisqu’il n’en aura pas.

À notre avis, l’endossement implicite de la Cour suprême des États-Unis du projet de bibliothèque numérique marque l’étape d’une adaptation des règles classiques du droit d’auteur aux nouvelles réalités qu’imposent les technologies de l’informations. D’ailleurs, certains auteurs avaient prédit que la Cour suprême n’entendrait pas cet appel puisque l’enjeu est beaucoup moins d’actualité qu’il l’était il y a 5 ans. Lionel Maurel, juriste et bibliothécaire a d’ailleurs remarqué le changement d’enjeu dans cette affaire :

« En 2005, la question principale portait sur la réutilisation de contenus protégés (la numérisation, puis la revente de livres) ; aujourd’hui, le vrai problème concerne les données contenues dans les ouvrages et l’usage qui peut en être fait. »

De fait, il est inévitable que les droits de propriété intellectuelle, plus particulièrement le droit d’auteur ont subi d’importantes transformations au cours de la dernière décennie. Or, les auteurs, comme l’univers législatif, doivent s’adapter à cette nouvelle réalité.

De plus, l’objectif premier des lois sur le droit d’auteur est de trouver un certain équilibre entre la protection du travail effectué par l’auteur et l’accès au public à l’information. Ainsi, de par cette décision, la Cour confirme cet objectif en ouvrant la porte à un accès plus facile aux œuvres et aux connaissances qu’elles contiennent.

À ce sujet, le Juge de la Cour d’appel avait précisé que :

« While authors are undoubtedly important intended beneficiaries of copyright, the ultimate, primary intended beneficiary is the public, whose access to knowledge copyright seeks to advance by providing rewards for authorship. »

Enfin, à nos yeux, cette décision est une excellente nouvelle pour la recherche, l’avancée des connaissances, mais surtout pour la reconnaissance d’une nécessité d’adapter les concepts traditionnels à la réalité d’aujourd’hui.

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