Une nouvelle application mobile émergente de l’Allemagne gagne récemment beaucoup d’ampleur à l’international. Il s’agit de l’application Ohlala, permettant des « rencontres payantes » entre hommes et femmes. Agissant un peu comme la populaire plateforme de rencontre Tinder, l’application permet aux hommes de se créer un profile et ensuite de faire une requête sur un lieu et une heure de rencontre, ainsi qu’un montant déboursable pour cette rencontre. Une fois l’offre envoyée, toutes les femmes disposant de l’application et étant à proximité de l’offrant peuvent consulter l’offre et ont 21 minutes pour l’accepter avant que celle-ci ne disparaisse. Lorsque la femme a accepté la requête, sa photo profile est révélée à l’homme et les deux peuvent clavarder afin de confirmer et clarifier les détails de l’offre avant que la rencontre prenne place, l’un des facteurs étant le prix final agréé par les deux parties, qui est enregistré dans Ohlala avant la rencontre.
Selon Pia Poppenreiter, le cerveau derrière Ohlala:
« l’idée est de laisser le choix aux femmes de monnayer leurs charmes tout en éliminant les intermédiaires potentiels, les obligations d’agenda et tous les autres risques et contraintes avec lesquels une escorte doit compter”
Cette application semble être une façon parfaite de numériser la prostitution en remplaçant la rue, le bar ou le bordel par un lieu virtuel. Si le droit canadien n’interdit plus en tant que telle la prostitution… une application pourrait-elle être offerte aux canadiens ?
L’article 213 du Code criminel interdit le fait de communiquer avec une personne dans le but d’amener vers un échange de services sexuels payants. Néanmoins, l’article précise que ne sont concernés que les démarchages dans un lieu public ou à la vue du public… Peu probable que ce critère soit retenu dans le cas de cette application.
La créatrice de l’application protège néanmoins ses arrières sur son site web en expliquant clairement et ce, à maintes reprises qu’il ne s’agit pas d’un service d’escorte et que toutes sollicitations à cette fin prenant place sur l’application devraient être reportées immédiatement. Il y a donc possible de voir ici, un jeu sur les termes entre l’amenuisement des risques auxquelles une escorte fait face en utilisant Ohlala dans sa première citation vers un discours totalement impartial à l’idée que l’application n’est pas du tout conçue pour les escortes et les travailleurs du sexe.
Sur un article de Bustle, elle explique que la légalité de l’application réside par le fait que personne ne connaît les spécificités de ce qui se produit lors des rencontres entre l’homme et la femme, les gens recherchent des « choses différentes » et il est impossible de confirmer, s’il y a oui ou non, un échange de sexe entre les deux parties. Elle conclut en expliquant que s’il advenait qu’il y ait échange de plaisirs sexuels entre deux adultes consentants, qu’il est de leur responsabilité et leur intimité d’en décider ainsi, « it is what it is » comme cette dernière le dit.
Du fait, il est tout de même, soit dit en passant, un peu incrédule de penser qu’une application visant la rencontre quasi immédiate entre un homme et une femme dans un lieu préétabli en échange d’un paiement ne vise pas du tout un service sexuel, mais est-ce que le fait de créer une application et fermer les yeux sur l’éventuel pourquoi les gens vont utiliser cette dernière, comme Pia le prétend, rend celle-ci légale?
Les conditions du site web de Ohlala laissent au consommateur le soin d’évaluer ou non si l’application est légale dans leur pays :
« If you use the Ohlala Services from outside of the United States, you are responsible for complying with the laws and regulations of the territory from which you access or use the Website or Ohlala Services. »
Difficile d’évaluer la légalité du projet Ohlala au Canada puisque celui-ci joue sur les zones nébuleuses de la loi. Surtout que les dernières modifications législatives semblent plus permissives.
On notera néanmoins que l’article 210 du Code criminel du Canada dispose qu’
est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans quiconque tient une maison de débauche.
De même, l’article 211 indique qu’est coupable quiconque mène ou transporte, ou offre de transporter une personne vers une maison de débauche. Néanmoins, il est peu probable que l’on puise catégoriser l’application comme une maison de débauche…
Malgré le fait qu’il ne faille pas passer par quatre chemins pour comprendre qu’un homme offrant une rencontre payante à une femme d’une durée déterminée veut probablement plus qu’un simple partenaire de conversation le temps d’un souper, l’application peut également être utilisée simplement à ces fins.
Par contre, bien qu’Ohlala tente d’éviter de contrôler ce qui se passe lors de la rencontre pour conserver sa légalité, l’utilisation de l’application à des fins de prostitution a tout de même pour effet d’augmenter la sécurité du procédé pour la femme. En effet, l’homme qui s’enregistre auprès de l’application doit fournir une preuve d’identité et un numéro de carte de crédit valide pour être approuvé, un luxe et une assurance que souvent les prostitués oeuvrant dans la rue n’ont pas la chance d’avoir. Le paiement étant enregistré dans Ohlala avant la mise en place de la rencontre, la femme est aussi garanti d’obtenir le montant sur lequel les deux parties s’étaient entendu. De plus, l’application travaille présentement sur un système qui permettrait à la femme de pouvoir « check in » et/ou « check out » de la rencontre de façon sécuritaire pour éviter les imprévus comme une tentative d’agression ou d’assaut de la part d’un homme mal intentionné.
Il faut reconnaître que le vent de renouveau qu’apporte le numérique sur le plus vieux métier du monde n’apporte pas que du mauvais. Bien que la propagation de la prostitution est tout de même à proscrire, l’encadrement relié au numérique est un phénomène intéressant et le dossier de l’envergure légale de la prostitution en ligne sera à vérifier de très près au cours des prochains temps.