Lundi dernier, l’animatrice Catherine Perrin de Médium large recevait le Professeur Karim Beneykhlef à l’occasion de l’annonce du partenariat entre le Laboratoire de cyberjustice de Université de Montréal et la ville de Québec (entrevue intitulée La cyberjustice: un système plus rapide et moins coûteux).
On y apprend qu’à partir de la fin 2017, on pourra plaider coupable ou non coupable à une infraction d’un règlement de la ville de Québec via internet (plutôt que par la poste). On pourra aussi déposer à notre dossier de la cour municipale de la ville de Québec des photographies prises de notre téléphone intelligent : par exemple, la photo d’une borne de paiement de stationnement défectueuse. On pourra aussi choisir notre date d’audition. Par contre, à la réflexion logique de l’animatrice sur le recours aux nouvelles technologies pour nous éviter une journée à la Cour, le Professeur Beneykhlef nous apprend qu’on devra encore se déplacer à la Cour pour être entendu. Ah, dommage. Pourtant, le recours à la justice en ligne est très pertinent dans les cas de litiges de faible intensité : et la technologie existe depuis longtemps.
Dès 2001, le Laboratoire, soutenu par la Commission européenne, créait un site de résolution des conflits pour les consommateurs, ECODIR. Ce projet pilote consistait à offrir aux consommateurs une plateforme internet de résolution des conflits en matière de consommation. Trois phases étaient prévues: i) négociation par courriel via un site privé sécurisé, ii) médiation en ligne avec l’aide d’un médiateur provenant de la liste d’ECODIR et iii) recommandation motivée du médiateur transmise électroniquement aux parties. Les avantages de recourir à ce type de mode alternatif de résolution des conflits (MARCs) plutôt qu’aux tribunaux sont nombreux. On évoque la souplesse, le coût en proportion de la valeur du litige, et la confidentialité des échanges (Voir l’article de Karim Beneyekhlef et Fabien Gélinas de 2005 « Online Dispute Resolution » pour une étude complète des MARCs en ligne). Quoique bien conçue, ECODIR a été peu utilisée. La raison de son utilisation limitée a été liée à la faiblesse de sa mise en marché : peu connue du grand public, elle n’était pas associée à un ou plusieurs sites de consommation et surtout son recours n’était pas obligatoire. Le Professeur Beneykhlef, dans son chapitre « La résolution en ligne des différends de consommation : un récit autour (et un exemple) du droit postmoderne » paru en 2010, évoque qu’un soutien plus important de la Commission européenne (pour le développement d’une véritable stratégie de mise en marché) voire même l’inclusion d’une exigence de recourir à ECODIR en matière de litiges de consommation sur Internet aurait pu permettre d’exploiter le plein potentiel de la plateforme.
Le Laboratoire de cyberjustice a par la suite développé un logiciel pour la création de plateformes de négociation et de médiation en ligne: PARLe (Plateforme d’Aide au Règlement des Litiges en Ligne).
« PARLe : il s’agit d’un projet qui explore le potentiel des nouvelles technologies afin d’améliorer le règlement des conflits de basse intensité en diminuant leurs coûts et délais de traitement »
La plateforme offre un processus en trois étapes : négociation, médiation et versement du dossier en ligne dans le système du tribunal compétent. Les experts juristes et techniques du Laboratoire peuvent ensuite ajuster cette plateforme aux exigences particulières requises (par exemple, au droit local, au processus d’administration de la preuve, et à la compatibilité avec les systèmes informatiques existants).
Une application concrète et récente de PARLe sera mise en ligne prochainement en France par Médicys (Centre de médiation et de règlement amiable des huissiers de justice en France) dans le cadre de son partenariat avec la FFB (Fédération Française du Bâtiment). Grâce à sa nouvelle plateforme, Medicys offrira un service en ligne de médiation des litiges entre les consommateurs et les professionnels du bâtiment. Fait intéressant, la création de cette nouvelle plateforme en ligne de médiation de litiges découle d’une nouvelle obligation légale : En effet, par décret no 2015-1382 du 30 octobre 2015 relatif à la médiation des litiges de la consommation, il devient obligatoire, à compter du 1er janvier 2016, pour tous les professionnels de proposer à leurs clients consommateurs une procédure de médiation gratuite accessible par courrier ou en ligne (article L152-1 du Code de la consommation (France)). Il est vrai que le consommateur n’aura pas l’obligation de recourir à la médiation, il en aura plutôt le droit. Cependant dans le cas de litiges de basse intensité, où les montants en jeu sont moindres et les questions de droit simples, plusieurs consommateurs se réjouiront de pouvoir éviter les tribunaux de droit commun. Rappelons qu’au Québec, les délais d’attente d’une décision de la Cour des petites créances sont en moyenne d’un peu plus de 400 jours (Rapport annuel de gestion 2014-2015 – Ministère de la justice à la page 50). Les consommateurs français pourront quant à eux obtenir une décision du médiateur dans un délai de quatre-vingt-dix jours de la date de notification du litige (article R152-5 du Code de la consommation).
Soulignons par ailleurs, que la Cour des petites créances déploie un projet pilote de médiation obligatoire dans certaines juridictions du Québec. Souhaitons que dans le cadre de ce projet pilote, le recours aux nouvelles technologies pour le processus de médiation sera analysé dans son ensemble … et pas seulement pour déposer des photos à la Cour.
Malgré la déception que peut susciter le fait de ne pas avoir profiter de l’expertise du Laboratoire de cyberjustice pour offrir une alternative véritablement « intelligente », la ville de Québec adopte tout de même concrètement le virage technologique pour la gestion de sa cour municipale. Qu’en est-il de la ville de Montréal, autoproclamée ville intelligente? Saura-t-elle aller plus loin que la ville de Québec qui aujourd’hui, gagne la première manche en matière de « justice intelligente »?