Dans le cadre d’une consultation lancée le 26 septembre dernier permettant aux citoyens français de commenter et de proposer des modifications au projet de loi pour une République numérique, le gouvernement a souhaité dédier un article au secret des correspondances numériques.
L’article 22 du projet de loi est «destiné à rappeler et renforcer le respect du principe du secret des correspondances privées.» Avec cet article, le gouvernement souhaite ainsi encadrer la pratique des entreprises comme Google, qui consiste à analyser le contenu des courriels pour proposer des publicités ciblées. Il espère que cela aura pour effet de «préserver la confiance des utilisateurs dans ces services. »
Cet article ne consacre pas un droit nouveau. Le droit au secret de la correspondance est protégé en Europe et en France par de nombreuses dispositions telles que l’article 8 alinéa 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme :
Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance
et l’article 1 de la Loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques
Le secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques est garanti par la loi. Il ne peut être porté atteinte à ce secret que par l’autorité publique, dans les seuls cas de nécessité d’intérêt public prévus par la loi et dans les limites fixées par celle-ci
ainsi que l’article 32-3 du Code des postes et des communications électroniques qui est d’ailleurs l’article que le gouvernement souhaite modifier :
Les opérateurs, ainsi que les membres de leur personnel, sont tenus de respecter le secret des correspondances.
Quels sont les acteurs concernés par le secret des correspondances numériques ?
L’article vise actuellement les opérateurs qui sont définis par l’article 32 du Code comme
toute personne physique ou morale exploitant un réseau de communications électroniques ouvert au public ou fournissant au public un service de communications électroniques.
Le futur alinéa 2, quant à lui, viserait «les éditeurs de services de communication au public en ligne permettant aux utilisateurs de ces services d’échanger des correspondances» c’est-à-dire toutes les entreprises qui proposent des services de messageries électroniques à leurs utilisateurs.
Le principe du secret des correspondances numériques connait-il des limites ?
Les éditeurs de services de communication au public en ligne doivent respecter le principe du secret de la correspondance privée. Le texte proposé par le projet de loi prévoit en matière de contenu que :
Le secret couvre le contenu de la correspondance en ligne, l’en-tête du message ainsi que les documents joints à la correspondance, le cas échéant.
Le fait d’avoir défini le contenu protégé (le corps du message, l’en-tête et les documents joints) semble pour l’instant assurer aux utilisateurs une protection adéquate. Reste à voir si cette définition résistera à l’évolution des technologies en matière de correspondance numérique…
Une autre limite existe lorsque l’analyse de la correspondance a certaines finalités :
Tout traitement automatisé d’analyse du contenu de la correspondance en ligne ou des documents joints à celle-ci constitue une atteinte au secret des correspondances, sauf lorsque ce traitement a pour fonction l’affichage, le tri ou l’acheminement de ces correspondances, ou la détection de contenus non sollicités ou malveillants.
Pour le gouvernement, cet article «précise les cas limités où des traitements automatisés peuvent analyser le contenu des correspondances (affichage, tri, acheminement, anti-spam, anti-virus)». Il faut donc comprendre les contenus non sollicités comme les spams et les contenus malveillants, comme les virus. Pourtant, comme le font remarquer certains, le terme «contenu malveillant» pourrait être interprété de façon beaucoup plus large.
Quels sont les obligations des acteurs et les sanctions prévues en cas de manquements ?
Le nouvel article ne mentionne aucune obligation ou mesure précise en cas de manquement de la part des éditeurs :
L’éditeur prend les mesures nécessaires pour garantir le secret et l’intégrité des correspondances échangées par l’intermédiaire de ses services.
Ce faisant, le gouvernement laisse une liberté totale aux entreprises, qui ont une obligation de résultat, peu importe les moyens qu’elles mettent en œuvre pour protéger le secret des correspondances.
Toutefois, une partie de l’article permet de faire le lien avec les sanctions prévues au Code pénal et de rappeler que la violation du secret de la correspondance est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
III. – Les infractions aux dispositions du présent article sont sanctionnées des peines prévues aux articles 226-1, 226-2, 226-3 et 226-15 du code pénal.
Les opérateurs et les éditeurs mentionnés au II sont tenus de porter à la connaissance de leur personnel les peines encourues au titre du présent article.
Finalement, même si certaines précisions sont encore nécessaires et que la question de la conciliation avec la Loi sur le renseignement se pose, il s’agit d’un aspect important de la vie privée que le gouvernement français cherche ainsi à protéger. Espérons que le projet de loi pourra aller de l’avant.