Google, entreprise reconnue mondialement pour les services qu’elle offre sur le web, revendique depuis plusieurs années déjà le droit de manipuler à sa guise les résultats affichés par son moteur de recherche, notamment d’afficher en premier certains résultats et de « noyer » les sites de certains concurrents. Or, un juge de la cour supérieure de San Francisco vient de valider la théorie de Google selon laquelle l’ordre des résultats de recherche est à la discrétion de l’entreprise, puisqu’il s’agit d’une forme d’expression qui est protégée par le premier amendement de la constitution américaine, lequel garantit la liberté d’expression.
En effet, Google prétend dans son memorandum que « Google’s search results express Google’s opinion on which websites are most likely to be helpful to the user in response to a query and are thus fully protected by the First Amendment. » Pour faire valoir son point, l’entreprise invoque l’arrêt Blatty v. N.Y. Times Co. Dans cette décision, un individu poursuivait le New York Times pour avoir fait défaut d’inclure son livre dans la liste des bestsellers; le recours a été rejeté pour la raison que cette liste était une création relevant des capacités de l’éditeur et était ce faisant protégée par le premier amendement.
La décision concernant Google peut paraître inusitée, mais elle n’est pas la première à aller en ce sens. Déjà en 2003, Google s’était vu donner raison dans une affaire l’opposant à une entreprise fâchée de voir son rang diminué. La cour avait alors décidé que:
« [A] Page Rank is an opinion – an opinion of the significance of a particular web site as it corresponds to a search query. Other search engines express different opinions, as each search engine’s method of determining relative significance is unique. […] A statement of relative significance, as represented by the Page Rank, is inherently subjective in nature. Accordingly the Court concludes that Google’s Page Ranks are entitled to First Amendment protection. »
La cour est même allée plus loin en indiquant que le demandeur n’avait aucun droit à un rang objectif. Plus précisément, les moteurs de recherche n’ont aucune obligation quant à l’exactitude des listes qu’ils fournissent suite à une recherche lancée par un utilisateur; ceci laisse donc une grande marge de manœuvre aux entreprises concernant la manière dont ils positionnent certains sites web dans leurs listes de résultats de recherche. Une décision opposant encore Google à un particulier insatisfait de son traitement par le géant d’internet abonde dans le même sens.
Ces trois décisions offrent des outils puissants à l’une des plus grandes entreprises de TI au monde. En effet, les chances sont assez élevées que Google puisse manipuler les résultats de recherche comme bon lui semble et sans conséquences légales, et ce, même si tant les entreprises que les utilisateurs des moteurs de recherche pourraient en souffrir.
De plus, une décision rendue début 2014 par un tribunal de l’État de New York a donné raison à un moteur de recherche chinois qui retirait de ses listes des sites web critiques du gouvernement chinois. Un tel jugement ouvre la porte à la manipulation flagrante de listes de résultats de recherche, puisqu’on permet à un moteur de recherche d’aller jusqu’à censurer certains sites de sa liste de résultats sous seul prétexte que ces résultats ne satisfont pas certains critères éditoriaux.
Même si une telle interprétation peut surprendre, voir choquer, il faut garder en tête que le contexte de la liberté d’expression revêt chez nos voisins du sud un caractère particulier, ce qui n’est pas le cas dans tous les États. De fait, en Europe, l’approche est différente, de sorte que les pratiques de Google, plutôt que d’être protégées, donnent lieu à des enquêtes pour pratiques anticoncurrentielles. Il est fort à parier que la situation au Canada se rapprocherait davantage de la norme européenne que de l’exception américaine.