Comme en témoigne le communiqué adressé à la Federal Communications Commission (FCC) par Barack Obama, la neutralité du Net est, ces derniers mois, mise à rude épreuve aux États-Unis. L’abandon de sa majorité démocrate au Sénat par le président américain place l’Internet libre dans une position d’autant plus délicate.
Principe fondateur de l’Internet, la neutralité du Net garantit l’égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet. Il exclut ainsi toute discrimination à l’égard de la source, de la destination ou du contenu de l’information transmise par le réseau. En d’autres termes, il doit permettre à tous les utilisateurs, quelles que soient leurs ressources, d’accéder au même réseau dans son intégralité, et à l’opposé aux sites à l’origine des services et applications de transmettre dans les mêmes conditions.
La protection juridique du concept, par essence même de la liberté et de la démocratie, est pour nombre d’États objet de nombreuses préoccupations. En témoigne la proposition de règlement 2013/0309 de la Commission européenne au Parlement, qui expose dans ses objectifs généraux que la progression vers un marché unique des communications électroniques doit permettre :
- « aux particuliers et aux entreprises d’accéder à des services de communications électroniques quel que soit le lieu de fourniture de ces services dans l’Union, sans restrictions transfrontalières ou coûts supplémentaires injustifiés ;
- aux entreprises fournissant des réseaux et des services de communications électroniques d’exploiter leurs réseaux et de fournir leurs services indépendamment de leur lieu d’établissement ou de la situation géographique de leurs clients dans l’Union européenne. »
L’adoption et l’effectivité de ce règlement ont beau être conditionnées par le vote des représentants de chaque État au Conseil de l’Europe, il n’en reste pas moins un signe fort en faveur de la neutralité du Net.
Au même moment aux États-Unis était approuvé par la FCC, autorité indépendante régulatrice des télécommunications, un texte laissant la voie ouverte aux discriminations commerciales. Le cadre réglementaire attaché à ce texte prévoit la possibilité pour les fournisseurs d’accès à Internet de faire payer les sites Web pour maintenir une vitesse de connexion optimale. Les fournisseurs de contenus qui ne pourraient s’affranchir des sommes demandées par les opérateurs devraient alors se contenter d’un débit plus lent. Comme le soulignait le président Obama, il n’est pas opportun de « permettre aux fournisseurs d’Internet de restreindre le meilleur accès [à Internet] ou de choisir des gagnants et des perdants sur le marché en ligne pour des services et des idées. »
Cette proposition de texte est intrinsèquement liée à la problématique des investissement structurels que soulève la Neutralité du Net.
De par sa décentralisation – mise à mal ces dernières années par l’émergence des géants du domaine (Google, Facebook et consorts), l’Internet repose sur un modèle de développement basé sur les usages. Schématiquement, les fournisseurs de contenus, apportant par leurs innovations de nouveaux services et applications, permettent d’étayer les usages d’Internet, et par voie de conséquence d’accroître le nombre d’utilisateurs et d’abonnés. Les fournisseurs d’accès dégagent des bénéfices de ces abonnements et proviennent aux besoins supplémentaires en bande passante en investissant dans l’augmentation des capacités de leurs infrastructures.
En organisant une gestion discriminatoire du trafic, les fournisseurs d’accès pourraient organiser délibérément la rareté de la bande passante, et donner priorité à certains fournisseurs de contenus prêts à les rétribuer pour bénéficier d’un accès prioritaire aux capacités du réseau.
Le texte se fait l’écho d’une décision de justice rendue le 14 janvier 2014 par la Cour d’Appel du district de Columbia, et donnant gain de cause à la société Verizon , un des plus gros fournisseurs d’accès Internet aux États-Unis, dans un litige l’opposant à la FCC.
Le corps de règles adopté par la FCC le 23 décembre 2010 et destiné à protéger l’Internet ouvert, en établissant des standards élevés garantissant l’interdiction de blocages ou de pratiques discriminatoires par les fournisseurs d’accès, était directement mis en cause par Verizon.
Au-delà du Président Obama, le principe de neutralité du Net trouve nombre de soutiens de poids parmi les sociétés high-tech de la Silicon Valley, comme en témoigne cette lettre ouverte adressée à la FCC par plus de 150 compagnies.
Malgré ce consensus autour du principe que défendent les partisans de l’Internet libre, le contrôle total du Congrès acquis par les républicains lors des récentes élections de mi-mandat pourrait jouer en défaveur de la protection de la neutralité du Net. Hostiles à toute forme de régulation, les républicains n’auront que peu de mal à faire pression sur la FCC. L’idée de Barack Obama de placer les fournisseurs d’accès à Internet sous la coupe d’une législation les qualifiant de service public semble déjà bien lointaine.