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La recherche de profit sur eBay ne fait pas de nous un commerçant

(cc) Kazuhisa OTSUBO

Marie-Christine Robert est étudiante dans le cadre du cours DRT 6903 (UdeM)
19 novembre 2013
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«La recherche du profit et le caractère isolé de la transaction des intimés ne permettent pas à première vue de conclure à la perte du statut de consommateur prévu à l’article 1384 C.c.Q » déclarait la Cour d’appel le 8 novembre dernier dans l’affaire Ebay Canada Ltd. c. Mofo Moko (2013 QCCA 1912).

Les faits de cette affaire remontent à février 2012, où deux étudiants de Montréal-Nord décident de mettre en vente sur le célèbre site d’enchère Ebay Canada, une paire très convoitée de chaussures de sport Nike, édition limitée produite dans le cadre des Matchs des étoiles de la NBA. Les enchères débutèrent à minuit pile, le 24 février à 750 $ et montèrent très rapidement à 50 000 $ US dans la matinée suivant la mise en vente. L’après-midi même, les vendeurs reçoivent un message privé d’un acheteur offrant 80 000 $ US, mais n’y répondent pas. Quelques heures plus tard, eBay Canada envoie un message aux vendeurs leur annonçant l’interruption unilatérale de leur contrat, annulant ainsi les enchères qui auraient atteint les 96 750 $ US. Une fois que la frénésie entourant l’objet fut passée, incapable de revendre les chaussures pour ce montant, Kevin et Sandrin Moko Mofo vont intenter un recours contre eBay Canada à la Cour supérieure du Québec, district de Montréal pour perte de profit anticipé. Après avoir reçu la requête introductive d’instance, eBay Canada présenta une demande déclinatoire en rejet des procédures québécoises alléguant que le contrat les liant aux demandeurs comprend une clause d’élection de for. En réponse à ses allégations, les demandeurs, argumentèrent que la clause en question était une clause abusive d’un contrat d’adhésion et de surcroît qu’il était question en l’espèce d’un contrat de consommation et que par conséquent la clause d’élection de for ne leur était pas opposable.

Le premier jugement :

Devant les arguments des parties, l’honorable juge Richard Nadeau, dans son jugement rendu le 4 mars 2013, a d’abord analysé les clauses du contrat pour en déterminer le type. Concluant que ce dernier contenait « 6 ½ pages (8½ x 11 lorsqu’imprimées) de texte touffu dans lesquelles s’alignent un nombre important d’avis, de conditions et de restrictions qui s’empilent les unes sur les autres dans un langage peu compréhensible, du moins pour les clients ordinaires, ce qui doit les dissuader de même tenter de les comprendre », il a affirmé que le contrat était donc bel et bien un contrat d’adhésion, tel que prévu à l’article 1379 C.c.Q.

Le tribunal à par la suite analysé la clause au cœur de la demande déclinatoire, soit une petite clause de quelques lignes à peine, perdue vers la fin de cet « User agreement », qui se lit comme suit :

« Law and Forum for Disputes – This Agreement shall be governed in all respects by the laws of the Province of Ontario and the federal laws of Canada applicable therein. You agree that any claim or dispute you may have against eBay must be resolved by a court located in Santa Clara County, California, except as otherwise agreed by the parties or as described in the Arbitration Option paragraph below. You agree to submit to the personal jurisdiction of the courts located within Santa Clara County, California for the purpose of litigating all such claims or disputes. »

Après une surprenante lecture, on y découvre que les lois applicables en cas de conflit sont celles de la Province de l’Ontario ainsi que les lois fédérales du Canada. Un peu plus loin, on nous indique que les tribunaux compétents pour entendre les litiges sont ceux de la Californie. Quoi que non inusitée, ce type de clause peut choquer du fait de la situation dans laquelle se trouve l’adhérent. D’ailleurs, le juge Nadeau l’a déclaré excessive déraisonnable et abusive et par conséquent de nullité absolue, sur la base des articles 1437 et 1438 C.c.Q. Le juge en est ensuite venu à la conclusion que les demandeurs étaient des consommateurs au sens de la loi puisqu’ils répondaient aux caractéristiques de l’article 1384 C.c.Q soit « une personne physique qui …à des fins personnelles…se procure… des services auprès de l’autre partie…qui les offre…dans le cadre d’une entreprise…». Par conséquent la juridiction du Québec s’appliquait, tel que mentionné dans l’article 3148(3) C.c.Q et que toutes tentatives d’y échapper étaient inopposables, selon l’article 3149 C.c.Q.

La demande déclinatoire a donc été rejetée, mais eBay n’en est pas resté là et a demandé la permission d’aller en appel, ce qui lui a été accordé le 24 avril 2013.

Jugement prise deux :

À la fin septembre l’affaire s’est retrouvée devant la Cour d’appel, qui révisa les questions en litige. Reprenant l’analyse de l’article 1384 C.c.Q et poussant l’analyse à la Loi sur la protection du consommateur, la Cour a conclu, à l’unanimité, que le juge de première instance était bien fondé en droit :

[38] Une personne physique qui n’est pas un commerçant ou qui ne tente pas de le devenir ou d’établir une entreprise dans une opération visant l’obtention d’un profit, demeure un consommateur assujetti à la L.p.c. et au Code civil.

[…]

[40] La conclusion du juge de première instance voulant que les intimés soient demeurés des consommateurs est bien fondée.

[41] Je ne peux me convaincre que les intimés ont agi à titre de commerçants en recherchant un profit lors d’une transaction qui visait à leur assurer un revenu.

Par conséquent, l’article 3149 C.c.Q. continu de s’appliquer et donne juridictions aux tribunaux québécois. Une analyse sur le caractère abusif de la clause devenant alors inutile, la Cour d’appel refusa de se prononcer sur le sujet.

eBay a donc subi un refus de ses prétentions pour la deuxième fois. Il y a fort à parier que cela n’en restera pas là et qu’eBay cherchera à porter l’affaire plus haut encore. Qui plus et c’est loin d’être terminé, s’agissant là des conclusions sur une demande déclinatoire et que le cœur du litige n’a pas encore été traité, l’affaire n’est pas encore gagnée ni d’un côté, ni de l’autre.

Décision qui pourrait être importante pour eBay, cette dernière n’a pas attendu la fin du litige pour changer sa politique et sa clause de juridiction. Un mois avant que le juge de première instance ne rendre son verdict, eBay affichait déjà qu’une nouvelle politique qui rentrerait en vigueur dès le 26 mars 2013, une nouvelle politique comprenant une modification à la clause d’élection de for qui se lit comme suit :

«Law and Forum for Disputes – This Agreement and any dispute or claim you have against eBay shall be governed in all respects by the laws of the Province of Ontario and the federal laws of Canada applicable therein. You agree that any claim or dispute you may have against eBay must be resolved by a court located in Toronto, Ontario, except as otherwise agreed by the parties or as described in the Arbitration Option paragraph below. You agree to submit to the personal jurisdiction of the courts located within the Province of Ontario for the purpose of litigating all such claims or disputes.»

Les lois ontariennes et fédérales canadiennes sont toujours les législations applicables, mais plutôt que de donner compétence aux tribunaux californiens, ce sont maintenant les tribunaux ontariens, qui pourront entendre les litiges en cas de conflit. Quelques inquiétudes du côté d’eBay pour la suite des choses? Probablement. Le temps nous dira si cela était fondé. L’histoire est à suivre!

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