Une étude menée par Pew Internet & American Life Project (ainsi que Harvard’s Berkman Center) en 2012, estime qu’environ 95% des adolescents âgés entre 12 et 17 ans, utilisent l’Internet, et 85% d’entre eux sont actifs sur des réseaux sociaux. Alors qu’historiquement les formes d’intimidation et harcèlement chez les jeunes étaient surtout apparentes au sein des écoles, elles ont aussi lieu sur les réseaux sociaux depuis quelques années. Les jeunes victimes n’ont donc aucune échappatoire, et se font intimider continuellement, que ce soit à l’école, ou à la maison sur le cyberespace. Une fille sur trois est d’avis que les filles de son âge sont négatives les unes envers les autres sur les réseaux sociaux. Une autre étude menée par Cyberbullying Research Center a déterminée qu’un jeune sur cinq âgé entre 10-18 ans fait l’objet d’une attaque ou participe à une attaque sur le cyberespace. Les victimes de cyberintimidation souffrent souvent de séquelles psychologiques et émotionnelles, telles qu’une baisse d’estime de soi, tendances suicidaires, dépression, sensation de frustration, colère, et crainte parmi tant d’autres.
Peut être que le lecteur se souviendra du cas récent de Rehtaeh Parsons en Nouvelle Écosse. Victime d’une agression sexuelle menée par quatre adolescents, cette dernière s’est enlevée la vie suite à la diffusion des images sur le web, exhibant Rehtaeh entourée des quatre garçons juste avant son agression. Rehtaeh a dû endurer des insultes et l’humiliation face à ses camarades pendant plusieurs mois, et s’est finalement résignée à son sort en se suicidant. Au moment du suicide, aucune accusation formelle n’a été portée contre les agresseurs sexuels, comme la photo diffusée n’était pas illégale au sens du code criminel canadien malgré son caractère intime, selon les autorités. Son cas (loin d’être le seul), a suscité beaucoup de colère et controverses sur l’incapacité des autorités publiques à contrôler ce fléau.
Le 7 août 2013, la Loi sur la cybersécurité, adoptée par la législature de la province de la Nouvelle Écosse, entre en vigueur. Cette dernière a pour mission de responsabiliser les agresseurs sur le cyberespace, et tenter de freiner le rythme alarmant de suicides chez les victimes de cyberintimidation. L’article 3(1)(b) de la loi définit la cyberintimidation comme suit :
any electronic communication through the use of technology including, without limiting the generality of the foregoing, computers, other electronic devices, social networks, text messaging, instant messaging, websites and electronic mail, typically repeated or with continuing effect, that is intended or ought reasonably be expected to cause fear, intimidation, humiliation, distress or other damage or harm to another person’s health, emotional well-being, self-esteem or reputation, and includes assisting or encouraging such communication in any way;” (nos soulignements)
Selon cette définition, quiconque utilise un moyen technologique ayant pour effet de blesser ou est censé blesser une autre personne pourrait être libellé un cyberintimidateur. Certains critiquent cette définition en trouvant la définition trop vague, allant jusqu’au point d’enfreindre la liberté d’expression sous la charte canadienne. Dans un article intitulé « Nova Scotia’s New Cyberbullying Law Will ‘Make Bullies Of Us All« , l’auteur Jesse Brown déplore le fait que la définition implique un critère subjectif qui pourrait regrouper un large éventail de plaintes, ayant pour conséquence d’étouffer indûment toute formes de critiques. Dans un autre blogue intitulé « New Cyberbullying law half-baked« , l’auteur David Fraser donne l’exemple de critiqueurs professionnels, tel des tweeters ou satiristes, qui critiquent à la journée longue et qui pourraient facilement être identifiés comme des cyberintimidateurs. L’auteur ajoute que la loi ne donne pas suffisamment de directives au juge, quant aux circonstances qui justifient une forme d’ordonnance plutôt qu’une autre. En effet, en vertu de l’article 9 de la loi, le tribunal pourrait ordonner, de cesser l’usage du cyberespace comme moyen de communication pendant une période déterminée, de confisquer tout appareil associé à l’adresse IP de l’usager, allant jusqu’à même d’ordonner d’interrompre l’approvisionnement du service d’Internet.
Le chapitre II de la loi traite de la responsabilité civile en matière de cyberintimidation et du recours de nature compensatoire pour la victime de cyberintimidation. L’article 21 de la loi prévoit que celui qui commet la cyberintimidation, commet aussi un « tort » (une faute extracontractuelle en droit québécois), et le juge pourrait ordonner le paiement de dommages et intérêts, de dommages punitifs, ou accorder une injonction en vertu de l’article 22. Dans le cas d’un défendeur mineur, le paragraphe (3) de cet article prévoit que le parent est tenu solidairement aux montants du jugement, à moins que le tribunal soit d’avis que le parent a démontré qu’il exerçait son devoir de supervision au moment des actes de cyberintimidation, ou que ce dernier a employé des mesures pour empêcher les actes de cyberintimidation, selon le critère de raisonabilité.
Finalement, la nouvelle loi a aussi eu pour conséquence d’instaurer la nouvelle unité d’enquête Cyber SCAN, la toute première en son genre au Canada. Il est prévu que le mandat de la nouvelle unité, sera de recevoir des plaintes de cyberintimidation de quiconque se croit victime de cyberintimidation, et d’enquêter sur ces plaintes. L’unité pourrait obtenir une ordonnance préventive d’un tribunal pour empêcher ou faire cesser la cyberintimidation. De plus, la loi sur la cybersécurité oblige les directeurs d’écoles de mener une enquête sur un élève accusé de cyberintimidation, ainsi que de coopérer et faire rapport aux enquêteurs du Cyber SCAN.
Dans un rapport soumis au Ministère de la justice fédéral par un comité des ministres provinciaux et fédéraux mandaté CCSO Cybercrime Working Group, il est proposé au Ministère d’amender le code criminel canadien afin d’incorporer les moyens électroniques comme véhicule d’harcèlement. Intéressement, le rapport suggère l’amendement des infractions existantes au code criminel plutôt que d’ajouter une nouvelle infraction d’intimidation ou de cyberintimidation, qui n’existe pas présentement au code criminel. Ils sont d’avis qu’il existe déjà plusieurs infractions dont l’intimidation est sous-jacente, tels que le harcèlement, voies de faits, diffamation, faux messages etc.
Le rapport fait aussi état du fait que le code criminel canadien comporte de nombreuses lacunes spécifiquement sur l’emploi des moyens technologiques. Par exemple, l’article 372 du Code criminel traite de l’infraction de faux messages contre celui qui transmet des messages qu’il sait être faux, avec l’intention de nuire ou alarmer. Toutefois, l’article ne mentionne aucunement un support technologique tel que le courriel électronique. Il y a déjà eu tentative d’amender cet article, notamment via le projet de loi C-30, mais ce projet a échoué comme il comportait de nombreuses obligations pour les fournisseurs de services de télécommunications concernant la divulgation d’informations confidentielles sur ses usagers. Dernièrement, le comité est d’avis qu’une nouvelle infraction concernant la publication d’images intimes sans consentement devrait être insérée dans le code criminel, auquel cas le tribunal pourra ordonner la suppression des images ainsi que le paiement de dommages compensatoires.
En somme, l’entrée en vigueur de la loi sur la cybersécurité ne plait pas à tout le monde, bien que l’objectif de la loi soit louable en soi. Peut être que la loi a été adoptée hâtivement et aurait pu être affinée un peu plus, mais il n’en reste pas moins que cette loi est un pas de plus dans notre mission de parvenir à une loi qui protège nos jeunes du malheur de la cyberintimidation.